Premier marché

Maître du Jeu

Rhodonies d'Obsidienne

L'hiver est installé. Mortecour se crispe dans son écrin de neige depuis plusieurs jours. Chaque matin, le 'port' et ses 'quais' sont forcés de briser la glace qui s'y forme, pour libérer les coques et empêcher aux bateaux de s'y abimer... Le froid est piquant et les âtres s’enflamment comme autant de buchers que le monde pourraient en compter.

Mortecour est une ville du Sud, probablement la plus peuplée après la Capitale. Avec son mur d'enceinte et son marché, elle est également l'une des plus riches et des mieux armées.
Son Temple principal se dresse sur une dent de pierre, résistante entre les flots du fleuve et les ponts qui la traversent. Chaque jour, cette cité voit passer de nombreux bateaux marchands et ses quais tintes de cloches, de claquements de voiles et de vagues, de cris de goélands et de marins.
La pêche de l'aube frissonne sur les étales et ses effluves, d'iode et de viande, accompagnent les chalands qui descendent jusqu'aux quais pour y faire leur marché.

Le froid ambiant fait stagner bas le parfum âcre des foyers et, ce matin, l'atmosphère épaissie de brume rend la ville aussi morose qu'un cimetière... Les citadins évoluent avec leurs larges fourrures, vêtus de noirs pour la plupart, espérant ne pas être mordues par ce froid et la maladie. Ils vont et viennent à leurs taches quotidiennes entre les veines et les artères qui traversent Mortecour.

Sur la grande place rectangulaire, la vie s'anime avec la montée du soleil. Le brouillard givré peine à se dissiper. Il s'accroche aux toitures blanchies et s’insinue dans chaque interstice de porte ou de fenêtre mal vitrée...
Plus loin à l'Est, un second mur de fortifications cache la demeure de Laas Miod, Seigneur de Mortecour, dont les filles œuvrent pour la Mère et son Inquisition.
Chaque jour voit au moins une exécution publique se faire appliquer. La plupart du temps, l'hérétique ne mérite que le bucher, mais il y a de plus terribles sentences qui s’excitent avec lenteur, sous l’œil courroucé d'une population amenée à participer. A l'aube ou au coucher, l'ont entend s’élever la clameur depuis la grande place.

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Depuis la demeure de ses parents, Hedienne s'éveille dans sa chambre. Le feu de la veille diffuse faiblement son aura. Il fait froid, mais elle ne gèle sous ses couettes de plumes.
Ainsi bordée d'avantages dus à sa famille, la demoiselle n'a visiblement aucun danger à risquer... Si ce n'est que les affaires de ses parents ne sont pas toujours légales et que l'Inquisition pourrait y mettre le nez, rasant avec brutalité toute forme de privilèges et de conforts.

Hedienne estime avoir suffisamment fait ses preuves pour essayer de monter son affaire ? Profiter du réseau de sa famille pour faire décoller sa carrière ? Eux, qui baignent dans le trafique d'humain, dans le marché noir, allant jusqu'à fricoter avec les Ombres et même les Nocturnes ?
La jeune femme rêve de l'extrême Sud et de ceux qui collaborent avec les Fils de Nitil... Peut-être sera-t-elle amenée à négocier avec l'un d'eux... A les rencontrer, même ? Jusque là, on ne lui accordé qu'une faible confiance. Mais il est peut-être l'heure d'imposer son âge et son expérience...

Le manoir de ses parents est assez proche des quais. Il comporte trois étages dont un sous-sol et un second, plus particulier, plus caché. Vivant au second, au bout d'un couloir, elle bénéficie d'une assez vaste chambre qui reviendra à ses parents lorsqu'elle quittera le nid pour faire ses affaires et s'installer.
Pour l'heure, la demoiselle conserve son confort et ses effets personnels -assez faible en l'état-. Si elle veut s'émanciper, alors ses parents feront en sorte de la mettre à l'épreuve, de garder à eux ce qu'elle a toujours eu avec leur grâce et leur soin, afin de l'éprouver à la réalité du terrain qui les a vu devenir riche et averti.

Le manoir possède un escalier principale au bout du couloir qu'elle 'habite'. Il dessert au rez-de-chaussé une cuisine, une salle commune et un hall avec une porte donnant au sous-sol.
Ici, tout est au bon goût du Sud... De la pierre, des tentures, des dalles froides et des tapis. Le mobilier est assez sombre et vernis au tampon, les pieds souvent en sabres ou droits, fixés de sabots dorés.
L'étage au dessus de celui qu'elle 'habite' avec certains serviteurs, est investi par ses parents, leurs appartements et bureau.
Ce matin, la maison est vide, ou presque. Ses parents sont en affaire au port, ils attendent une cargaison et organisent un départ... Ils rentreront dans quelques heures.
Il n'y a dans le manoir que la cuisinière à son fourneau et une esclave dédiée au ménage, une nouvelle, une jeune qu'elle ne connait pas encore bien et qui remplace la vieille qui avait fini par claquer du cœur en époussetant un rideau...

...~oOo~...

Invité

Avant même d'ouvrir les yeux, les premières pensées d'Hédienne se perdent dans la multitude de choses qu'il lui faut encore régler : les lettres de courtoisie qu'elle devine sur son bureau - Seri, ce qu'elle détestait gâcher temps et encre à toutes ces correspondances surannées, qu'elle n'acceptait que par convenance sociale -, des parchemins de comptes plus ou moins détaillés à l'attention des percepteurs, qui depuis trois jours la faisaient veiller jusque tard dans la nuit, une entrevue aujourd'hui avec elle ne savait qui, pour elle ne savait quoi - Hellène lui avait dit d'être prête ce jour, mais s'était curieusement gardée de lui apporter d'autres détails - et, pour couronner, le tout, l'arrivée d'une nouvelle esclave dans leur foyer. Elle était arrivée dans la nuit, à n'en pas douter. Accueillie par la cuisinière, sans doute.

Ses pieds nus se promènent quelques instants sur les épais tapis qui jonchent le plancher. Rejoignent une paire de souliers de cuir restés auprès du feu. Décemment vêtue, la jeune femme attrape les documents terminés cette nuit par ses yeux fatigués, et avale les marches des escaliers sous le pas un peu alourdi du manque de sommeil.

En cuisine, une collation lui a été servie qu'elle ne se sent pas de refuser malgré son manque d'appétit, mais sitôt le pain et le beurre consommés, elle s'empresse de rejoindre fenêtre et fauteuil pour s'installer dans la lumière. Allumant sa pipe, elle se penche bientôt sur sa calligraphie. Le tintement du grès sur le joli guéridon en fer forgé placé à ses côtés lui arrache un sursaut. Elle lève le nez vers celle qu'elle devine être la nouvelle arrivante, et que dans son empressement elle n'avait même pas remarquée. La fille est ravissante. Et la gratifie d'un sourire qui ne peut pas ne pas être sincère. Hédienne la remercie pour cette infusion qu'elle vient de déposer près d'elle. Devine qu'il s'agit des mêmes plantes qui constituent sa boisson matinale habituelle et dont sa consoeur n'a pas dû manquer de lui préciser la composition avec le soin qu'elle met à tous ses ouvrages. Espérons que la nouvelle se montre toujours aussi soigneuse. Et si, de surcroît, elle pouvait être aussi aimable chaque matin, son séjour ici serait véritablement le bienvenu. Hédienne avait, ces derniers temps, de plus en plus tendance à négliger son confort. Avec l'accroissement des activités familiales, sa charge de travail augmentait inexorablement et elle s'investissait aujourd'hui corps et âme dans ce qu'elle faisait... au détriment, il est vrai, d'autres questions qui restaient en suspens. Celle d'éventuelles fiançailles dont on lui parlait aujourd'hui franchement. Celle de son installation prochaine ailleurs, dont elle soupçonnait déjà sa tante d'avoir quelque projet pour elle. Comme pour le mariage d'ailleurs, ça il ne fallait pas en douter. Il lui faudrait également choisir les esclaves destinés à l'accompagner dans son avenir. Et, là non plus, la tâche ne devait pas être hasardeuse. En bref, tout une série de décisions plus ou moins déterminantes pour son avenir, qu'elle devrait prendre dans les prochains mois, et qu'elle s'obstinait à laisser traîner par peur, vraisemblablement, de voler de ses propres ailes. L'envie ne manquait pas, certes, mais si elle aimait le changement, l'aventure et l'inconnu, certaines routines lui seyaient aussi très bien dans le confort du foyer familial. Elle tenait cette faiblesse de sa mère, elle le savait, et se maudissait parfois d'en faire le constat.

D'épaisses volutes de fumée maraudaient aux quatre coins de la grande pièce, et sa relecture touchait à sa fin lorsque la nouvelle esclave la tira une seconde fois de sa tâche.

- Votre bain est chaud.
- Ah. Oui, merci. Monte-moi un plateau je te prie, j'y écrirai mes lettres. Et porte ces documents à Daric, qu'il m'en fasse deux copies.

Daric, c'était le nom de leur scribe. C'était un esclave, comme les autres, mais qui, en raison de ses atouts évidents, était rétribué par les Thelvin pour toutes les tâches d'écriture qui lui incombaient et qui, par son soin et sa rapidité, faisaient gagner un temps précieux à ses maîtres.

- Au fait, quel est ton nom?

Elle laissera son interlocutrice l'informer, avant de se diriger vers son bain et son courrier. Elle fut brève dans ses réponses, profita de la chaleur du bain, rit de bon coeur d'une lettre qui lui parvenait d'un jeune homme célibataire de sa connaissance et qui ne faisait pas grand mystère de ses intentions... Une matinée très agréablement occupée, et ponctuée par les soins de serviteurs si prévenants qu'une fois toilettée, lorsqu'elle descendit à nouveau, un déjeuner l'attendait immanquablement.

Maître du Jeu

Le manoir est presque vide ce matin. A part la cuisinière et la nouvelle esclave, il ne semble pas que la maison respire de tant de vie. Il est probable que le reste de la famille et des 'esclaves' aient été appelés à l'extérieur, pour quelques affaires dont elle n'aurait pas été informée ? Tout ce que Hedienne sait, c'est qu'elle aura un rendez-vous ce jour...
Avec qui, quand, par quel biais... Elle n'en a pas l'idée. Sa tante ? Peut-être bien.

Après avoir avalé un déjeuné et s'être installée, prête à se baigner et à travailler, la jeune femme se laisse interpeler par la nouvelle servante. -Le bain est prêt ?... Il est prêt. Il faut 'transmettre' des documents au scribe ? Ce sera fait.-
La fille acquiesce à chaque demande sans rechigner et s'apprêtera à guider sa maitresse vers le bain s'il le faut. A la déshabiller, à la savonner, la coiffer... l'apprêter.
Toute une mise en œuvre qui répondrait à n'importe quel caprice de la jeune maîtresse.

Il règne ce matin une clarté grise qui alourdit la fatigue déjà présente. Les feux de cheminées ronronnent doucement et la fumée refoule dans l'âtre à cause du mauvais temps.
Ce parfum âcre, on s'y accommode à la longue. Il flotte légèrement dans l'air, s'infiltre dans les tapis et les tapisseries, nappe le plafond, entour de ses doigts fantomatiques les accoudoirs, les pieds galbés, les dorures et le laiton.
On s'y accommoderait, ce matin, à cette étrange brume qui s'épaissit pourtant... Et si la servante ne tiquait pas d'un reniflement, frottant l'un de ses yeux d'un air à douter de quelque chose, il est probable que les deux femmes se seraient laissées surprendre trop tard ?

"Excusez-moi je..."
De l'effronterie ?
La voilà qui lui tourne le dos mais Hedienne a probablement déjà senti que quelque chose ne va pas ? Si ce n'est pas encore le cas, elle verra bien assez tôt une lueur étrange et jaunâtre danser dans un couloir menant à l'étage.
La servante ravale un hoquet de surprise et de terreur avant de revenir sur ses pas et de fondre vers sa maîtresse pour lui tendre la main en toute hâte.
"Madame... Il y a le feu ! Il faut quitter la maison, madame !!"

Le feu...
Vraiment...
Mais comment !?
La cuisine n'est pas de ce côté et des flammes lèchent déjà les tentures qui bordent le hall et la porte menant au sous-sol.
Alors oui, il faut vite sortir. Et la seule issue possible, si l'on ne veut pas sauter d'une fenêtre et risquer de s'écraser derrière, serait d'emprunter le second sous-sol.
Hedienne connait le passage mais n'a pas encore eu la chance de l'explorer, puisque ses affaires avec ses parents ne se sont pas rendues assez intimes. On ne la jugeait probablement pas encore prête à recevoir certaines informations ? A participer plus largement aux affaires sombres qui les intéressent ? Et si la jeune femme a respecté cette condition jusque là, de ne pas entrer dans ce passage 'interdit', la voilà pourtant contrainte d'en franchir le pallier.

Les flammes soufflent plus fort dans le grand hall et la fumée s'épaissit, elle devient insupportable.

Dans cette pièce où se trouve Hedienne, remplie des quintes de toux de sa servante, il y a une tenture au mur. Elle représente un paysage sombre, une forêt tortueuse dans laquelle une scène de chasse particulièrement glauque se déroule.
-Elle a probablement passé du temps à l'observer étant enfant ? Ce spectacle de chiens entrainés, à la gueule déformée d'une battue effrénée et qui les a conduit jusqu'aux chairs d'un loup qui se débat au milieu de ses viscères. Et sous un clair de lune, griffé de branches tordues, une silhouette 'humaine' observe ce déferlement de souffrance et de bruit; que seul l'esprit peut imaginer à la vue de ses animaux entredéchirés.-
Derrière cette scène obscure, se trouve une porte.
A sa surprise ou son soulagement, elle découvrira que le loquet n'est pas verrouillé. Et la jeune femme n'aura pas d'autre choix, cette fois, que de s’engouffrer dans un passage de sa propre maison, quelle ne connait pourtant pas.

La fumée est moins épaisse ici. Elle flotte mais n'empêche pas de respirer. Elle pique les yeux mais ne bloque pas la vue. Un escalier descend dans quelques profondeurs obscures, éclairé par une lampe dont l'huile est presque épuisée après une nuit à bruler. Hedienne pourra la décrocher et espérer se laisser guider par sa lumière le temps qui lui serait accordé.
Et la servante ? Elle aura tout fait pour suivre sa maîtresse, espérer comme elle survivre... Pressées toutes deux par le temps et le manque d'air sain. L'esclave semble découvrir les lieux de ses yeux pour la première fois.

Au bout d'un escalier en pierre, serré de parois taillées ne permettant qu'à une personne de s'y tenir, une pièce rectangulaire se déploie. On y trouve une longue table et des chaises, des tapisseries, un mobilier contenant quelques vaisselles... Il s'agit en réalité d'un second salon 'caché'... mais qui semble totalement clos -hors le passage qu'elles ont empruntées.

...~oOo~...

Invité

Hédienne n'avait pas fini de déjeuner qu'une odeur de fumée suffisamment puissante et grasse pour masquer celle du tabac se fit sentir, jusqu'à imprégner toute la pièce jusqu'au moindre centimètre de tapisserie. Suivant instinctivement du regard la jeune esclave, elle la voit renifler, se frotter les yeux, en songeant que sa propre respiration l'irrite des mêmes maux qu'elle devine chez sa domestique. Réfléchissant un instant à une chose qui lui paraît pourtant hautement improbable, ce sont les mots de la jeune fille qui finissent de mettre tous ses sens en alerte. Elle aperçoit les lueurs mordorées dans le couloir. Songe à la cuisinière qui, aux dernières nouvelles, s'affairait en cuisine... Elle sera certainement sortie faire des emplettes, laissant Hédienne seule avec l'autre esclave. La Thelvin l'espérait. Car elle n'avait pas la moindre seconde à accorder à cette recherche, pas plus qu'elle n'en avait pour emporter quoi que ce soit. Déjà son esprit cherchait-il une issue à cette épineuse situation.

La porte derrière le loup.
Se ruant vers la tenture qui hanta son imaginaire d'enfant, elle en écarta les pans pour révéler la porte du deuxième sous-sol, qu'elle ouvrit dans une énième quinte de toux, suivie de près par la jeune esclave qui refermera derrière elles la lourde porte. Une issue? Ce n'était pas garanti. Saisissant la lanterne qui semblait vivre ses derniers instants de rayonnement, Hédienne descendit les escaliers avec empressement, tant en quête d'oxygène que de solutions. Par Seri, elle se refusait à laisser son foyer brûler. Ne supporterait pas la responsabilité de la perte des nombreux documents de l'entreprise familiale autant bien sûr que des souvenirs de sa propre enfance.

Elle ne s'attendait pas à trouver au bout de ce couloir une salle de ce genre. Une cave servant d'entrepôt pour des richesses jalousement dissimulées des percepteurs, oui. Un local d'archives secrètes, pourquoi pas. Un chenil réservé à une catégorie particulière d'esclaves qui ne pouvait entrer dans le champ de sa connaissance, elle était prête à l'envisager. Mais une salle à manger...

Et rien, semblait-il, qui pût leur assurer une sortie salvatrice vers l'extérieur... Que feraient-elles lorsque la maison, après s'être entièrement embrasée, laisserait ses dernières fumées se répandre dans les niveaux inférieurs? Non, elles devaient trouver une solution.

Spoiler:

Maître du Jeu

Les deux femmes sont 'hors des flammes' pour le moment. L'air n'est pas aussi pestilentiel qu'à l'étage, mais il finira probablement enfumé... puisqu'il n'y avait aucune fenêtre ni aucune percée dans cette salle étrange.
A la lueur de sa lanterne, Hedienne observe son environnement, cherche une solution, tandis que la servante reste en arrière, tremblante de peur, aussi surprise qu'interdite.

Il y a bien une chose qui retiendra l'attention de la maitresse de maison, c'est ce vaisselier appuyé contre le mur. Il est haut, imposant, occulté de nombreux battants, mais possède un glissoir caché au dos. Nul doute que ce meuble doit bouger par ce biais pour révéler autre chose. Les femmes ne seront pas de trop à deux pour espérer bouger ce monstre en bois. Elles y mettront toutes leurs forces pour le déloger et le faire glisser le long du mur, révélant une nouvelle porte lourde en arrière.
Voilà une sortie... en espérant qu'il ne s'agisse pas d'un placard à balais aussi saugrenu que cette salle ou une cave à esclaves sans issue !

En ouvrant le battant, Hedienne sentira l'air froid ondoyer dans sa direction. L'obscurité d'un 'tunnel' se révélera être un passage de pierre taillée, dans lequel raisonnent de lointaines gouttelettes d'eau et de ruissellements. Le tout accompagné d'un parfum malodorant.
La servante rejoindra probablement sa première pensée en y glissant à son tour un œil rond :
"Les égouts..." soufflera-t-elle.

Il n'y a pas une minute à perdre. Les deux femmes n'auront d'autre choix que d'avancer... à moins de rester ici et de finir fumées comme des jambons ?

Le froid léchera leur peau sous les maigres vêtements, leurs chaussures clapoteront dans quelques flaques avant d'espérer longer un fin filet d'eau à l'aide d'étroits passages rehaussés.
Le sombre souterrain se révèle à la clarté de la lumière extérieure. Des puits ruisselants transpercent un plafond de plus en plus haut et déversent l'ambiance grisâtre du jour levant. A l'étage du 'planché des vaches' bourdonne le vie des ruelles et des marchés, probablement excitée par un incendie dans le quartier... Hedienne sera peut-être tentée de 'bêler' pour attirer l'attention ? Ou continuera-t-elle jusqu'à trouver une échelle, une bouche dégagée ? Avant même de prendre sa décision, quelle qu'elle soit, elle sent dans son dos la présence de la servante qui se blottit contre elle comme à une bitte d’amarrage. Elle l'entend prendre son souffle dans l'espoir de s'exprimer mais c'est une autre voix qui se met à chanter. Un timbre masculin qui raisonne dans ce réseau d'eaux sales et dont la verve s'alourdit et ralentit à chaque 'rime' :
"Petit petit poussin, perdu perdu dans l'souterrain... Attend, attend le grand souv'rain; Redoute, redoute... le vrai Malin..."
Une ombre massive pivote en arrière d'une arche, qui divise les flux d'eau en différents bras, tous finissant probablement par se rejoindre ou se jeter dans le port et le fleuve.

L'homme n'a pas de 'visage' humain. L'ombre de sa tête se termine en une sorte de 'bec', un masque dans lequel l'on devine deux trous béants en lieu et place des yeux. Son corps est couvert de tissus amples et sales, serrés par des lanières et des ceintures...
"Voilà une étrange rencontre. Deux femmes à moitié nues et terrorisées dans un tunnel...
Serait-ce mon jour de chance..." Semble-t-il se parler à lui-même, bien volontaire à se faire entendre.

Hedienne connait cette ville, mais pas toutes les sombres organisations qui l'habitent. Cet homme est soit 'seul' soit 'accompagné', agissant dans son coin ou pour un clan plus particulier ? Quoi qu'il en soit, il voit en elles le moyen de casser sa morne matinée... et le chemin passe par lui.

...~oOo~...

Invité

L'armoire massive pesait un âne mort, si bien qu'Hédienne y eût laissé sa volonté par trois fois si la crainte de finir asphyxiée par les émanations de fumée ne lui avait pas donné toute la force nécessaire à la tâche. Pour le coup, la présence de sa jeune esclave n'était pas inutile, et il y avait fort à parier qu'elle pourrait constituer une aide précieuse dans sa fuite. Pour le moment, elle avait le mérite d'offrir une présence bienvenue dans cette descente à travers les égouts, et si son effroi ne venait pas particulièrement rassurer leur marche, au moins générait-il un sentiment protecteur de la part de sa maîtresse, qui se sentait de plus larges épaules aux côtés d'un si frêle oiseau.

Elles progressèrent ainsi lentement sur les abords d'un mince chemin d'eau croupie, évitant les gouttes suintantes qui tombaient du plafond. Ajouré par des ouvertures régulières vers la surface, il permettait de deviner son quartier - de l'entendre plus qu'on ne le voyait, à vrai dire - lequel grouillait d'activité à toute heure du jour ou de la nuit, et ce matin plus particulièrement. Hédienne s'efforça de scruter ce ciel qui, par contraste avec l'obscurité dans laquelle les deux femmes progressaient, leur était aveuglant de lumière. Elle tenta même de discerner quelque chose à la surface, une aide quelconque, un badaud arrêté là et vaguement attentif à ce qui pouvait l'entourer. Rien. Rien qu'une masse gesticulante qui ne lui fournissait pas grand chose de plus que piaillements et ombres fugitives. Elle soupira. Déjà passablement irritée par le froid humide qui lui remontait sur les jambes. A patauger comme ça, elles ne tarderaient pas à attraper la mort.

Et puis cette promenade était, bien sûr, sans compter son rendez-vous de la plus haute importance, ainsi que le passage des percepteurs. Elle espérait que Daric avait eu la lumineuse idée de transmettre en temps et en heure leurs documents à ces sangsues du pouvoir central, avant que ces canailles ne se mettent dans l'idée de venir fourrer leur nez dans les affaires de sa famille. Mais rien de tout ça n'était garanti. Plus une seconde à perdre. La jeune femme presse le pas, sa suivante se presse contre elle. Son souffle, derrière son épaule, assez proche pour qu'elle puisse aisément l'entendre. Et se retenir subitement.

Elles avaient vu la même chose. Une ombre glissée vers elle leur faisant face à présent. D'une stature plus haute. Plus large. La démarche assurée de celui qui n'a rien à craindre. Mais que pouvait-il bien faire dans les égouts, ici, en plein jour avant midi... Etrange, pour un brigand, de guetter ce genre d'endroit. Et dans cet accoutrement... S'il ne voulait montrer son visage, soit, mais ce long bec surmonté de deux grands trous noirs, qui ne laissaient pas même apercevoir ses yeux. Il pouvait tout aussi bien être un démon sorti d'elle ne savait quel enfer. Du moins en cherchait-il l'apparence pour mieux les effrayer... Enfin, si tel était son but, à moins d'être un esprit malade, et à moins que tout ceci ne soit que le pur produit de délires aléatoires, il cherchait quelque chose.

- Votre jour de chance, à n'en pas douter. Ou le premier d'une décennie aux fers. Hédienne Thelvin, pour vous servir. Vous vous trouvez dans des couloirs empruntés de longue date par ma famille, et sans être dûment autorisé j'ai bien peur que votre présence ici ne puisse s'éterniser.

Elle avait rassemblé toutes ses forces pour que ne transparaisse dans le son de sa voix aucune faiblesse susceptible de la trahir. Cela relevait d'un effort colossal. Derrière elle, la jeune esclave serrait son bras comme pour se rassurer elle aussi. Profiter de cet instant fugace de courage. Le discours de l'esclavagiste était, certes, celui d'une bureaucrate ayant la naïveté de penser que chacun respectait les règles. Mais au moins permettait-il de gagner quelques secondes de réflexion. Peut-être son nom pouvait-il évoquer quelque chose dans l'esprit de cet individu, et y sonner en opportunité. Sinon, il ferait un lien entre une famille ayant des activités suffisamment clandestines pour être lucratives - ou l'inverse. Et dans le pire des cas, il serait toujours temps de crier.

Spoiler:

Maître du Jeu

Le corbeau s'interrompt en écoutant l'une des deux jeunes femmes répondre à son introduction. Lorsqu'elle achève son propos, un court silence s'impose et l'on entend enfin, résonner par le haut, les cloches claires des gardes sonnant l'alerte et le rassemblement destiné à stopper l'incendie qui rugit non loin.
Le bec du corbeau se lève alors vers l'un des puits de lumière, et, sans rien dire, repose le regard vide de son masque vers la jeune femme.
"Et vu votre accoutrement, votre provenance... j'imagine que c'est le manoir des Thelvin qui brule à cette heure ?"
Une conclusion hâtive mais qui lui fait reconsidérer la présence plus qu'étrange de deux brebis 'dévêtues', dans un lieu aussi malfamé que malodorant.

"Vous n'êtes pas sans savoir que les égouts n'appartiennent pas à votre famille ? Je sais qui vous êtes et je commence à comprendre le péril dans lequel vous vous trouvez..."
Le ton change immédiatement, dès lors que l'étranger 'se rend compte' à 'qui' il est en train de s'adresser. Embrassant les deux donzelles de ses yeux creux, il ajoute :
"Je suis Orian Rackish, mercenaire et assassin pour les Corbeaux." Portant sa main contre son buste, il exécute une rapide courbette de présentation en bonne et due forme.
"Vos parents ou votre éducation vous ont tenues éloignée de notre existence. Nous avons un accord avec votre famille, puisque cet endroit est notre territoire et que nous en gardons le contrôle. Votre passage est assuré en ces lieux... pour le moment. Mais je dois vous 'inviter' à bien vouloir me suivre... Au vu des circonstances il faut que vous soyez 'informée' et 'écartée' pour votre sécurité..."

Levant une main dans sa direction il lui fait signe de le suivre.

Dans le dos d'Hedienne, la servante reste accrochée à son vêtement, comme une enfant craint l'étranger plus que la pestilence de ces lieux.
"Madame, ce sont des renégats, des assassins... ne le suivez pas..." murmure-t-elle dans un tremblement.
"Si vous ne me suivez pas, vous vous perdrez dans ce labyrinthe ou vous finirez par vous noyer dans le port gelé."
Répond l'étranger qui aura entendu, si non deviné, l'échange secret entre les deux femmes à dix mètres de là.

...~oOo~...

Invité

Un Corbeau. Des accords secrets et un laisser-passer. Tiens donc...
Pour sûr, la fâcheuse situation dans laquelle Hédienne se trouvait ne la mettait pas en position de se faire des ennemis. De là à trouver dans ces égouts malsains un partenaire commercial de sa famille...

Etrange qu'elle n'ait jusque-là eu vent de cette organisation, qui lui était totalement inconnue jusqu'à son nom... Sans quoi le masque de l'individu lui eût certainement mis la puce à l'oreille. Elle tournait dans son esprit le nom d'Orian Rackish, autant pour y chercher une trace que pour, faute de souvenir antérieur, l'y graver afin de ne pas l'oublier. Il s'agirait de ne pas faire défaut à un potentiel allié.

Et voilà que cet allié - jusqu'à la démonstration du contraire en tout cas - invitait les deux jeunes femmes à le suivre. L'esclave, sans surprise, tenta de dissuader sa maîtresse. Mais la jeune Thelvin n'avait pas une journée à consacrer aux promenades, à plus forte raison lorsque des affaires capitales étaient en attente et, accessoirement, que la maison de ses parents brûlait au-dessus de sa tête. En outre, elle se refusait à passer une minute de plus dans ce dédale nauséabond.

- Ne sois pas bête, glissa-t-elle à sa suivante. Nous n'avons pas d'autre choix.

Elle avait parlé d'une voix basse pour partager l'intimité de sa jeune servante, ce à quoi elle la savait sensible, mais avec ce petit empressement qui trahissait une curiosité nonchalante. Elle ne l'aurait avoué pour rien au monde, mais ne supportait pas ne pas être dans la confidence. Cela faisait des années qu'elle travaillait sans relâche et sacrifiait tous ses autres projets à la réussite de sa famille. L'idée que des mystères puissent encore persister à son encontre lui hérissait l'échine. Et s'il fallait passer par des tiers pour obtenir toutes informations utiles à ses ambitions, à l'insu des siens et - certainement aussi - de leur consentement, alors qu'il en soit ainsi.

Sans plus de cérémonie, elle emboîta le pas de l'homme masqué, suivie de près par sa jeune comparse. L'idée lui trottait qu'elle n'aurait peut-être pas perdu sa journée sous terre, tout compte fait.

De dos, le corbeau retrouvait une humanité. Hédienne une certaine assurance. En outre, il lui était bien plus agréable de suivre un assassin que de le croiser.

Cet oiseau de malheur serait peut-être, finalement, de bon augure...

Maître du Jeu

Jusque là, Hedienne ne connait que la partie supérieure des affaires illégales dans lesquelles trempe sa famille.
Jusque là, la jeune femme n'avait encore jamais mise les pieds dans cette salle secrète et étrange offrant un lien direct avec les égouts de la ville.

Il est difficile pour un clan de malfrats d'agir et de perdurer dans une dictature aussi sévère que celle du Sud. La demoiselle ayant toutes ses preuves à faire, elle ne pouvait être mise au courant de chaque secrets... et cela viendra. La situation actuelle le permettant, il est fort à parier que la jeune héritière serait directement jetée dans le grand bain, poussée par un incendie soudain -que par la main rassurante de l'un de ses proches-.

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A la remontrance de sa maîtresse, la jeune suivante baisse le front et le regard, joignant ses doigts entre ses hanches pour 'rester à sa place'.
Acceptant donc de suivre cet étranger, qui leur assurerait presque de ne pas les mener à un traquenard, Hedienne et sa servante se remettent en route.

Les tintements de cloches s'assourdissent et s'éloignent tandis qu'ils s'enfoncent plus loin dans les souterrains. Parfois, le groupe contourne un bassin circulaire, dans lesquels se jettent différents petits flux pour n'en faire plus qu'un à la sortie. Les odeurs sont plus fortes, l'air plus lourd, moins froid -étrangement-...
Après avoir passés quelques grilles poisseuses et ouvertes, la troupe s'engage sur des pontons de bois, rehaussés de pilotis pour ne pas toucher l'eau putride... Des échafaudages les entourent, épousant les formes circulaire de ses grands passages avant de s'ouvrir sur une vaste salle.
Les gargouillements de l'eau, les clapotis, chantent plus fort ici. Le sol est couvert de bois et d’immondices dont certaines fuiront à leur arrivée. La pièce sous voûtes est éclairée de torches, qui mettent en lumière un groupe de quatre Hommes qui se retournera à leur entrée.

Tous ces étrangers sont couverts de capes et de masques, similaires à celui qui guide les deux femmes.

"Le manoir des Thelvin brûle mes 'seigneurs'." Dira l'assassin dans une courbette qui l'éloignera de quelques pas, laissant place à Hedienne et sa suivante.

"La fille Thelvin ?" S'étonne l'un des membres avant de s'imposer un silence. Sa voix est féminine mais abimée. Elle se casse en forçant le ton pour se faire entendre.
"Nous aurions tous pu le voir venir... Et aucun n'en a eue la présence d'esprit ?!" Tonne un homme en arrière.

"Ce n'est pas seulement votre maison qui brûle, madame. C'est le nom de votre famille. Les temps sont durs, les Morts se relèvent, l'Inquisition se fait déborder et mord plus fort encore... Si ce n'est pas la Dictature qui cherche à vous éliminer, il faudra chercher parmi la concurrence..."

A cet instant un sixième corbeaux se présente, par un ponton différent, l'amenant à rejoindre ses semblables.

"Nous traitons avec votre famille depuis de nombreuses années.
Nous traitons avec des organisations telles que celles de votre famille depuis des générations.
Jamais nous n'avons connu un tel désordre et une telle véhémence entres les marchands que nous 'protégeons'... Ce crime doit remonter auprès de ceux avec qui vous traitez, afin que justice ou mystère soit résolu... C'est un conseil."
L'un des 'corbeaux' se tournera vers le dernier arrivé, le regardera de la tête aux pieds avant de dire :
"Ulrich ? Tu arrives bien tard... mais tu tombes bien."
Il regardera à nouveau dans la direction d'Hedienne et dira :
"... D’ordinaire nous n'accordons aucune faveur à nos partenaires... Mais nous respectons votre famille et redoutons autant que vous les flammes de votre manoir. Il en va de notre sécurité... selon les responsables...
Ulrich est un homme de confiance. Laissez-nous vous le recommander en tant que garde du corps, le temps que vous résolviez cette affaire. Il nous servira également de messager."

...~oOo~...

Invité

Eh merde..., songea ledit Ulrich.

Il avait pourtant tout fait pour se faire discret ! Il avait bien espéré pouvoir rester dans un coin à se faire oublier !
Au moins le temps de comprendre dans les grandes lignes le merdier - métaphore forte à propos vu l'endroit selon lui - dans lequel il venait de débarquer. De fait, il y avait quelques éléments de la situation présente qui lui échappait : Premièrement, que faisaient deux jeunes femmes à moitié vêtues dans les égouts ? Deuxièmement, à quel partenaire des Corbeaux étaient-elles liées ? A l'évidence leur famille était estimée, sinon le clan ne se montrerait pas aussi généreux.

Enfin ! Quoiqu'il en était, celui qui se faisait appeler Ulrich n'avait d'autre choix que d'obéir.
L'homme s'avança vers le duo de femmes mais, la servilité de seyant pas aux Corbeaux, se contenta d'un hochement de tête pour les saluer. Une rapide évaluation le conforta dans l'idée de s'adresser à celle dont les cheveux avait la couleur du jais. L'autre, qui se cachait dans son dos en s'y agrippant comme un noyé à sa planche, n'était à l'évidence qu'une petite chose peureuse et tremblante. Il serait presque chanceux de pouvoir lui soutirer plus de deux mots. Non, mieux valait échanger avec celle qui, ne serait-ce que dans sa posture, démontrait une certaine fermeté de caractère.

- Où dois-je vous escorter ?

Un "si votre manoir est en train de brûler" flottait en suspens dans l'air.

Invité

Leur promenade finit par déboucher sur un espace plus conséquent - quoique tout aussi fétide - au sein duquel une petite communauté de ces mêmes sombres volatiles semblat avoir élu domicile pour quelque réunion secrète. Pour sûr, si l'on exceptait Hédienne et sa jeune esclave, qui se demandaient encore ce qui avait bien pu passer par la tête de la déesse ce matin pour décider de les précipiter dans cette désagréable situation, ils ne trouveraient par ici aucune autre oreille indiscrète de quelconque espèce dotée du sens olfactif. Ce qui en faisait un repère intéressant à cette seule condition. Tout le reste demeurait parfaitement incommodant.

Le premier de la couvée est en fait une première. Une voix féminine qui, bizarrement, rassure la jeune femme, lorsque les doigts de sa suivante s'étaient préalablement enfoncés dans son épaule à la vue de nouvelles créatures.

Quoi qu'il en soit, les présentations n'ont pas tellement d'utilité, et les conversations en viennent rapidement aux faits. Enfin, à des phrases... Du reste, Hédienne, habituée à la rhétorique utilitariste de sa famille et de tout le reste de son quotidien, ne s'embarrasse pas des propos sibyllins de celui des corbeaux qui semble vouloir la conseiller. Ce qu'elle retient de tout cela, c'est que l'incendie de son manoir n'est pas un accident. Que l'ennemi est certainement bien plus proche qu'elle ne l'imagine. Qu'elle est en danger - et que peut-être des membres de sa famille et de son organisation le sont-ils encore davantage. Et qu'elle devra éclaircir toute cette pagaille sans en savoir plus sur la situation, et surtout sans attirer l'attention.

En prime, ils lui filaient un garde du corps. Encore un chouca. Décidément, c'était son jour de chance. Elle le toisa quelques secondes pour en déduire les informations qui lui suffisaient : grand, massif, vraisemblablement en pleine possession de ses moyens. Ses vêtements sombres et son masque feraient l'affaire, même si elle eut soudain un sérieux doute quant à la possibilité pour ces animaux-là de garder leurs atours de rapace en société. Mais ce n'était évidemment pas son problème.

Son problème demeurait sa destination. Sa maison, comme celle de sa tante, de son oncle ou de tout autre membre de sa famille, était à proscrire pour des raisons évidentes. Les quais également. Elle et les siens y étaient bien trop souvent pour que le passage par le fleuve eût pu être envisagé. Quitter la ville? Par les portes? Elle n'y pensait pas. Si l'administration la cherchait, elle ou n'importe lequel de ses semblables, il y aurait parmi les gardes quelque sombre envoyé de la Dictature pour la saisir sur le champ ou, tout au plus, lui laisser quitter la ville pour s'accorder le plaisir de lui mettre la main dessus quelques heures plus tard, dans les campagnes alentours. Quant aux quelques Thelvin haut placés susceptibles de pouvoir lui venir en aide, ils ne comptaient pas spécialement parmi ses proches, et comment savoir s'ils partageaient véritablement ses intérêts ou s'ils n'allaient pas simplement la trahir sitôt qu'elle se montrerait à eux? Non, elle devait trouver un endroit assez discret à l'intérieur de la ville qui ne soit pas un endroit où l'on pourrait venir la chercher, et d'où elle pourrait mener ses recherches en toute tranquillité, et aussi seule qu'elle pouvait l'être.

- Le libraire... murmura-t-elle tout en vérifiant intérieurement son idée. A l'est de la ville, sur les côteaux qui mènent à la place fortifiée, il y a une petite librairie dans laquelle il m'est arrivé de me réfugier étant petite.

Un vieux clerc venu finir ses jours à Mortecour - pour une raison qui échappait encore à la jeune Thelvin - s'était installé dans ce quartier qui voyait le soleil se coucher sur le fleuve. Enfant, elle avait remarqué sa petite échoppe, qui se trouvait sur un chemin souvent emprunté par ses parents à une époque. Aussi, lorsqu'elle fut en âge de pouvoir sortir seule, elle cessa de réclamer les bouquins et partait elle-même à l'aventure dès que l'occasion se présentait. L'aventure, c'était la petite librairie au fond de ce quartier.

Elle ignorait si le libraire fût toujours de ce monde. Encore moins si l'idée était viable. Si, une fois sur le seuil, elle pourrait pénétrer les lieux. Mais cela faisait des années qu'elle n'épluchait plus que des livres de comptes, et que la petite librairie ne vivait plus que dans sa mémoire. Une chose était certaine : personne n'aurait l'idée de venir la chercher là.

Maître du Jeu

Ulrich s'avance et se met à disposition, selon les ordres de l'organisation. Le voilà donc prêt, bon gré mal gré, à escorter la donzelle, assurer sa sécurité et se faire le messager dans cette affaire.

"Allez donc à cette librairie. Ce soir, vous aurez la visite de l'un de vos illustre partenaire. Il saura peut-être répondre à une partie de la question qui nous concerne tous."
Semblant accorder sa bénédiction, le Corbeau s'enjoint avec ses comparses d'un mouvement de bec puis ajoute :
"Sortez par l'Ouest, vous trouverez un sac avec quelques affaires que nous vous cédons, Hedienne Thelvin.
Soyez tous prudents."

Le ton est alors donné et le nouveau trio -composé de la servante, de l'héritière et du garde du corps-, sera dirigé vers un ponton, menant directement à d'autres tunnels puants et suintants.
La clarté du jour grandira, autant par la monté du soleil que par la promesse d'un air plus pur et glacé. Le vent s'engouffre dans les égouts et, suivant ce mince filet ondoyant entre effluve acides et froides, la troupe se présentera à une bouche verticale, bardée de fer et d'une porte entrouverte; rongée de rouille.
Sur l'un des rebords, entre quelques immondices, trône un petit sac de cuir dans lequel Hedienne trouvera une veste de cuir, des jambières, une lanterne pleine, une carte du monde et trois paires de menottes.
Voilà qui recompose ses maigres effets -en espérant qu'elle puisse les compléter, avec l'aide de son 'vieil' ami dont elle ne sait si elle le retrouvera en activité et en vie dans cette ancienne librairie-.

Ulrich accompagne les donzelles et, de temps en temps, il sent sur lui le regard mêlé de méfiance et de peur de la servante. Si tôt qu'il la remarquerait elle se détournerait en pressant le pas derrière sa maîtresse... très peu dans son élément en ces lieux, mais prête à servir l'héritière et sa famille.

La grille ronde donne sur les bords d'un quai. Elle y déverse un flux régulier et fin d'eau sale.
Longeant le mur qui court le long du fleuve, évoluant sur une étroite bande de cailloux polis, le trio trouvera bientôt un escalier de pierre permettant de rejoindre la civilisation.
Il est serait donc de bonne augure de paraitre le plus 'normal' possible, afin de ne pas attirer l'attention des pêcheurs et des dockers.

Dans le ciel, une épaisse fumerole noire pointe l'incendie qui ravage le manoir Thelvin. Les cloches des Gardes sonnent encore et l'on sent bien que les citoyens sont interpellés par ce tapage et cet évènement qui a lieu au milieu des habitations...

Le gel blanchi les pavés gris sur les ombres projetés des bâtiments, tandis que le soleil fait s'élever une fine brume chancelante au sol qu'il éclaire, chahutée par les allées et venues des chalands et des charrettes. Hors l'incendie, la cité est calme et le temps est devenu clément. Le froid est moins insoutenable sous ce maigre rayon diurne qui teinte d'or l'atmosphère légèrement brumeuse.

Dans peu de temps, le groupe trouvera la librairie. En attendant, il évolue dans les ruelles marchandes, les auberges et les tavernes. Les parfums des étales de poisson, de venaison, de pain, embaument l'air matinal qui s'élèvera bientôt vers l'heure du midi.

...~oOo~...

Invité

Une librairie, à l'est de la ville, place fortifiée, les coteaux... Non décidément, l'endroit en lui-même de lui disait rien. Enfin ! La jeune femme pourrait les guider une fois à la surface. Il fallait espérer que l'établissement existe toujours. Ulrich laissa le sujet de la librairie de côté.

Si l'on devait reconnaître une qualité au clan, c'était d'être bien organisé. Toutes les questions qui avait pu lui effleurer les lèvres trouvaient une réponse sans qu'il n'ait à les poser. Thelvin ?

Tiens, tiens ! songea-t-il.

Bien entendu, Ulrich marqua un léger temps d'arrêt comme il tiquait sur le nom de famille de la jeune femme aux cheveux noirs. Hédienne Thelvin, c'était donc son nom. La situation présente, à ses yeux, venait subitement de gagner en importance.
Une fois encore, il opina du chef.

- Nous le serons, assura-t-il à son "collègue". Au besoin, je serai prudent pour trois.

Son petit groupe fut dirigé dans la foulée vers un autre ponton, lui épargnant ainsi l'effort de réfléchir à la direction à prendre... au risque de se planter, ce qui la ficherait mal pour un Corbeau. C'est que parvenir à s'orienter dans ce dédale souterrain tout en y superposant un plan de la ville nécessitait une véritable prouesse de gymnastique intellectuelle ! Cette aptitude n'était clairement pas donnée à tout le monde, et devait quoi qu'il en soit se travailler. Or, le talent d'Ulrich résidait surtout dans le maniement des armes.
Comme attendu, l'homme prit la tête du trio, prenant bien soin de regarder où il mettait les pieds avant de les poser. La pierre dans les galeries était humide et suintante. On avait tôt fait de glisser si l'on n'y prenait garde.

Assez vite il sentit peser sur lui le regard à la fois craintif et méfiant de la servante, laquelle se détourna sitôt qu'il tourna la tête. Le manège recommença plusieurs fois. A la cinquième, Ulrich le Corbeau laissa échapper un ricanement gentiment moqueur derrière son masque.

- Détends-toi ma mignonne, ton cœur va finir par lâcher à ce rythme. Si t'étais le gibier que je recherche, crois-moi tu le saurais déjà.

De fait il pouvait définitivement faire une croix sur celui qui l'intéressait vraiment, à présent qu'il devait jouer les nourrices. Sauf hasard et chance incroyables, jamais il ne pourrait en retrouver la trace, c'était une certitude. Cela le chagrinait un peu mais, d'un autre côté, les jours à venir s'annonçaient intéressants et, qui sait, riches en opportunités ?

- Au fait, ajouta-t-il en se tournant vers Hédienne, puis-je vous demander qui du clan vous a... hum ! Comment dire... réceptionnée, ma dame ?

Après un temps indéterminé, la pénombre commença doucement à s'éclaircir et une brise d'air, plus froid mais aussi moins vicié, leur annonça la sortie ouest : une bouche d'égout verticale bardée de fer et une porte entrouverte rongée par la rouille. Charmant.

Laissant Hédienne faire l'inventaire du sac que le clan avait laissé à sa disposition, Ulrich s'avança à l'air libre pour passer en revue les environs et graver quelques repères dans sa mémoire : Il se trouvait sur un quai, en bordure du fleuve. Plus loin, un escalier remontait vers la civilisation. L'homme chercha du regard un pont enjambant le fleuve ou un bâtiment aisément reconnaissable.
Ceci fait il changea de tenue, troquant ses habits de corbeau - qu'il rangea dans son sac - pour ses vêtements habituels et sa cape, somme toute plus discrets. Une fois changé, il glissa sa dague dans botte et accrocha sa hache à sa ceinture.

Il attendit ensuite les deux jeunes femmes pour les mener jusqu'à l'escalier. Une fois parvenu au sommet, Ulrich repéra l'épais panache de fumée noire qui montait à l'assaut du ciel. Les cloches sonnaient encore et il en déduisit logiquement qu'il venait de repérer la localisation du manoir Thelvin.

Les rues redevenaient plus calmes à mesure qu'ils s'éloignaient de l'incendie et alors qu'ils traversaient des rues marchandes, déambulant au milieu d'étals chargés de mets divers et variés, l'estomac d'Ulrich se rappela à son bon souvenir.

- Vous n'avez pas faim ?

Invité

Finalement, l'entrevue aura été de courte durée. Les Corbeaux retournent à leurs obscures besognes tandis que la Thelvin et sa suivante écopent d'un garde du corps qui les mènera à destination saines et sauves... gratuitement. Voyons cela. Hédienne n'était pas née de la dernière pluie, et on le lui fera jamais entendre que quoi que ce soit puisse être donné totalement gratuitement. Il y avait forcément une contrepartie à ce "cadeau". Contrepartie qu'elle découvrirait sans doute trop tard. Au risque de perdre sa tête, d'ailleurs, car si la résolution de cette affaire qui semblait beaucoup compter pour les corbeaux ne leur apportait pas les gains escomptés, ils auraient alors toute latitude pour se débarrasser d'elle au titre de témoin gênant. Et ce dans l'hypothèse ou sa suppression ne soit pas précisément l'aboutissement de cette manoeuvre, les recherches d'Hédienne n'ayant pour seul but que de glaner des informations supplémentaires de l'intérieur...

Non, décidément cette affaire comportait bien trop de paramètres, au mieux hasardeux, sinon complètement obscurs pour elle pour qu'elle se résigne à baisser la garde. Elle aurait ce protecteur improvisé bien à l'oeil, et ne doutait pas que sa servante en fît volontiers de même.

Quittant les oiseaux sans plus de cérémonie, ils suivirent l'un d'eux à travers les égouts.

Dans cette ambiance faussement détendue et de cordiale méfiance, leur protecteur se mit en tête que peut-être on aurait pu attendre de lui quelque familiarité. Etait-ce pour détendre l'atmosphère ou seulement pour occuper le temps? Certes, non. Il semblait vouloir des informations.

- Orian Rackish, lâcha-t-elle en se disant qu'elle n'avait a priori aucune raison de protéger ce nom qui la laissait parfaitement indifférente.

Leur déambulation dans ces dédales puants qui constituaient les entrailles de la ville touchait à sa fin. Enfin ils atteignaient la lumière! Les rives du fleuve ne lui avaient jamais semblé si accueillantes. Comme annoncé, un sac se trouvait à la sortie de cet enfer de crasse. Elle enfila les jambières, puis la veste de cuir sur son surcot, masquant l'escarcelle qu'elle portait sur la hanche et qui contenait les quelques pièces d'or qui lui restaient de sa dernière sortie. Glissa la carte à sa ceinture et confia la lanterne à la jeune esclave.

Tandis qu'ils se mettaient en marche, encore éblouis par la ville, leur souffle produisant une fine buée frisonnante, les dernières recommandations du corbeau à voix de femme revenaient à l'esprit d'Hédienne. Semblaient vouloir s'y fixer pour un moment. Elle avait pris la tête et, occupée tant à ressasser ce qui lui avait été sous-entendu qu'à veiller à prendre des rues peu fréquentées et choisies aléatoirement de manière - quitte à perdre un peu de temps - à ne pas se retrouver sur un itinéraire sur lequel on pourrait les attendre... elle n'avait pas pris garde à sa jeune comparse qui, transie de froid, avait fini par reprendre le bras de sa maîtresse pour se protéger du vent. Il devait être midi, mais si le temps était relativement clément il ne fallait pas pour autant compter sur des températures très généreuses à cette époque de l'année. Elle ne s'encombrerait pas d'un cadavre inutile. Et peu discret.

- Si. Trouvons une taverne. Peut-être auront-ils quelque chose pour elle, fit-elle en désignant la pauvre fille. Je préfère éviter la rue des tisserands et des marchands d'étoffes.

Elle embrassait les alentours du regard à la recherche d'une taverne qui pût leur fournir le couvert, sans manquer de regarder aussi à l'est... et de fouiller dans ses souvenirs un chemin familier.

Maître du Jeu

Pourquoi les Corbeaux lui avaient attribué un garde-du-corps ? L'idée avait pourtant été évoquée. -Ulrich serait leur messager dans cette affaire. La protection d'Hedienne, ainsi que la résolution du mystère de la mise en cendre du manoir familial, les concernent tout autant qu'elle.
Une guerre entre malfrats, dans ce contexte de tensions au sein de l'inquisition et de la Garde en général, n'est pas souhaitable. Les clans de voleurs, d'assassins, de mercenaires de l'ombre, devaient se souder ou s'éviter, afin de respecter la 'tranquillité' de tous...
Le Sud est un endroit particulièrement dangereux pour quiconque s'amuse au Marché Noir ou à quelques actions illégales. Sans un minimum d'ordre et d'accord, aucune association sombre ne pourrait espérer rester pérenne plus de quelques heures...

Voilà le trio sorti des égouts - et une servante évitant des yeux l'étranger qui l'a mise mal à l'aise avec sa réflexion.
Hedienne se protège et enfile ses pièces d'armure, Ulrich se change, et la lanterne est donnée à l'esclave... -d'ailleurs elle l'acceptera d'un air à se demander 'pourquoi', mais sans rien dire-.

Dans les rues, l'héritière décide de ne pas passer par les lieux où l'on saurait la reconnaître facilement. Acceptant la proposition du Corbeau, elle cherchera des yeux une taverne ni trop fréquentée, ni trop 'malfamée', pour s'éviter toutes rencontres pouvant lui devenir hostile ou problématique. -La jeune femme étant issue d'une famille bourgeoise et réputée, son visage serait probablement reconnu. Il faudrait alors jouer de discrétion, jusqu'à ce qu'elle parvienne à ce lieu qui lui servirait de 'cachette' et de sauvegarde jusqu'à réfléchir à la suite de son enquête.-

Au-dessus de leurs têtes plusieurs enseignes se figurent, mais il en est une qui attirera son attention ?
'Le tonneau de fer ***' est une taverne assez 'discrète', posée là, au fond d'une ruelle étroite 'propre' et sans issue, ni trop fréquentée, ni trop délabrée -au risque d'être le repère de quelques âmes mal intentionnées-.
Le nom, suspendu au bout de deux chaînes rouillées, est peint sur un plateau de service rond en bois décoloré. La façade de pierre taillée expose un front haut, disposant d'un étage servant d'habitation au tavernier.

Sur la porte, se liste les services disponibles dans l'établissement :
- un petit commerce - très courant
- des tables de jeux
- un barbier

Si le trio passe le pallier, il pénètrera dans une salle de trente mètres carrés.
Il y a là deux colonnes en bois qui soutiennent l'étage et desquels pendent plusieurs bouquets de fleures et de feuilles séchées. L'ambiance est assez tamisée, éclairée par les fenêtres de la façade sur un côté et d'un grand feu d'âtre central, cerclé de pierre et surmonté d'un axe permettant d'évacuer les fumées par l'étage et le toit.
Le sol, en dalles de pierre grises, est plutôt bien entretenu. Il soutient plusieurs tables et tabourets en bois, mais très peu de fessiers. A cette heure où midi s'annonce, la clientèle est assez rare.
Il flotte dans l'air une atmosphère légère mélangeant parfums d'aromates, de ragoût et de tabac.

Dès leur entrée, le tavernier lèvera la tête. Son comptoir se trouve à leur droite immédiate, monté de billots de bois et d'une longue planche de chêne. Derrière lui, des tonneaux couchés, des godets rincés et une porte donnant sur une minuscule cuisine dont on aperçoit seulement la croupe à l’ouvrage d'une cuisinière.

L'homme est d'âge assez avancé, les traits tombant, le ventre pointant et les cheveux grisonnants. Son regard pétille à la vue de nouveau client, tirant un sourire bienveillant.
"Bienvenue au Tonneau de fer, braves gens. Qu'est-ce que je peux vous servir ?"

...~oOo~...

Invité

Ulrich hocha simplement la tête à la mention d'Orian Rackish sans autre commentaire. Comme si, à présent que ce détail était éclairci, il pouvait passer à autre chose.

Une fois gagnée la surface, Ulrich avait laissé Hédienne prendre la tête de leur trio. La jeune femme connaissait, de toute façon, mieux cette partie de la ville que lui. Le chemin emprunté lui parut un peu alambiqué, comme s'ils multipliaient les détours. La réponse d'Hédienne à sa question confirma, bien que de manière indirecte, cette impression : Si Hédienne préférait éviter les quartiers où elle risquait d'être reconnue, elle poussait la prudence jusqu'à éviter les rues trop passantes. Ulrich ne pouvait que consentir à cette idée.
Chemin faisant, l'homme examinait les écussons des tavernes devant lesquelles ils passaient. "La bonne écuelle" ? Etablissement propret et sûrement fréquenté par des marchands de passage mais trop exposé. Pas moyen de sortir ou d'entrer discrètement. "La cloche d'argent" deux rues plus loin ? Une version de la précédente en plus luxueuse. Ulrich ne donnait pas cher de leur bourse ! "La coche rieuse" trois détours plus tard ? Oh là non ! Certainement pas. L'endroit ressemblait à un vrai coupe-gorge.
"Le tonneau de fer" ? Un nom bien banal, pouvait-on dire de bon augure ? Ulrich y jeta un coup d’œil. L'auberge semblait relativement respectable sans pour autant bouillonner d'activité, pour ce qu'il pouvait en juger de l'extérieur. Par ailleurs elle se trouvait au fond d'une impasse. Avantage : il n'y avait probablement qu'une seule entrée et sortie, ce qui rendait le lieu aisé à sécuriser. Inconvénient : il n'y avait probablement qu'une seule entrée et sortie, ce qui rendait la fuite impossible en cas de grabuge.

Enfin... sait-on jamais. Une arrière-cour, un petit chemin de traverse... Il faudra vérifier auprès de l'aubergiste.

Ulrich se tourna vers les deux femmes avec un large sourire.

- Celle-ci me semble parfaite.

Un constat rapide des services proposés dans l'établissement lui confirma sa première impression. Ici ils trouveraient sûrement de quoi mieux habiller la servante frigorifiée et Ulrich pourrait même utiliser les services d'un barbier s'il le désirait. Si tant est qu'il soit du genre à remettre sa jugulaire entre les mains d'un inconnu plutôt que de faire le travail lui-même. Il poussa la porte.

L'ambiance à l'intérieur de l'auberge était feutrée et chaleureuse. La salle du rez-de-chaussée était propre et manifestement bien entretenue, décorée de touches florales discrètes, agréable en somme. Sa superficie était relativement modeste pour une auberge mais, la clientèle devant se faire plus rare en journée, cela ne posait guère problème. Des effluves de cuisine réveillèrent sa faim. Mais voilà que le tenancier, un homme ventripotant et grisonnant, se tournait déjà vers eux. Le visage d'Ulrich s'éclaira instantanément tandis qu'il s'approchait du comptoir.

- Bien le bonjour aubergiste ! Trois repas s'il vous plait. Et...

Il était peut-être prématuré de demander des chambres. Ils avaient encore le temps d'ici à ce que la nuit tombe et, après tout, il n'était pas encore dit qu'ils auraient à rester cachés jusqu'au lendemain.

- Pour le reste, veuillez demander à ma dame, ajouta-t-il en s'effaçant pour laisser le passage à Hédienne.

Invité

Finissant par échouer au Tonneau de fer, une petite gargotte qui leur semble de prime abord tout à fait acceptable - quoique dans une impasse, ce qui n'est jamais fait pour rassurer totalement, d'autant plus lorsque vous avez échappé un peu plus tôt dans la journée à votre propre manoir en feu au moyen d'un passage trouvé au hasard de vos inquiétudes -, les demoiselles et leur protecteur retrouvent avec plaisir une petite parenthèse de chaleur et de calme. Mais leur passage ici sera forcément de courte durée. Un déjeuner sur le pouce, l'occasion de glaner quelques informations au détour d'un comptoir, et l'espoir de pouvoir acheter quelque vêtement chaud pour la jeune esclave.

A première vue, le taulier inspire plutôt confiance. Mais Hédienne a appris à ne jamais se fier à sa première vue. Surtout face à des commerçants, comme elle l'est elle-même. Prenant le temps d'embrasser la pièce d'un regard circulaire, vigilante aux potentiels dangers mais également aux regards louches et oreilles hypothétiquement traînantes - ceux et celles qu'elle reconnaissait le mieux - elle rejoint bientôt Ulrich au comptoir, suivie de près par sa suivante.

- Bonjour. Auriez-vous également de toi vêtir plus chaudement cette pauvre enfant? dit-elle en désignant la jeune femme qui semblait apprécier la chaleur ambiante.

Puis, réalisant qu'elle avait oublié sa pipe qui, à l'heure actuelle, devait se trouver calcinée avec le reste de ses effets personnels...

- Ajoutez également du tabac, une pipe et des allumettes, je vous prie.

Elle finit par prendre complètement place au comptoir. Sa suivant l'imita. Autour d'eux, dans cette atmosphère de quasi-silence, les quelques rares personnes présentes auraient tout loisir, en tendant l'oreille, d'entendre ce qu'ils pourraient discuter avec le gérant. Ce qui n'était pas pour la mettre totalement à l'aise. Aussi prit-elle le temps d'une brève observation du tenancier afin d'être bien certaine qu'il ne connaissait pas son visage avant de prendre sa plus parfaite posture de jeune bourgeoise curieuse de l'activité du quartier pour, l'air de rien, le questionner sur ce qu'il pouvait savoir du sujet qui la concernait directement.

- Que se passe-t-il depuis ce matin? L'air empeste et l'on a aperçu de la fumée tout à l'heure.

Dans le pire des cas, s'il l'avait effectivement reconnue, elle pourrait toujours prétexter qu'elle n'en savait rien, s'affoler et improviser sa sortie précipitée.

Spoiler:

Maître du Jeu

Derrière son comptoir, le gérant dévisage ses trois clients avec le sourire.
Trois repas ?
Se penchant vers la cuisine en arrière, il ne dit rien, vérifiant que sa préposée ait bien entendu. Puis il répond :
"Je vous laisserai vous installer où vous voulez. Les repas feront trois pièces d'argent."
Son regard glisse vers la voisine que l'homme désigne pour la suite de la commande.

"Oui, j'ai bien quelques pipes et du tabac à vous proposer pour une pièce d'or. Avec les allumettes ça fera deux pièces d'or en tout." Il se penche tout aussitôt sous son comptoir pour en sortir une longue boite, la laissant à disposition contre le bar.
Hedienne pourra ouvrir le coffret et observer ses différents fumoirs.
Les pipes sont toutes taillées dans un bois sombre, variant de 'noir' à brun et nuances de 'rouge' en loupes. Les becs, faits d'os, ont une couleur qui varie légèrement de crème à jaune. Pour les foyers certains sont en fer, d'autres en bois ou terre cuite. Les pipes sont droites ou arquées, longues ou courtes. Mais l'ouvrage de ces dernières reste modeste.
La fantaisie est discrète.

Pendant qu'Hedienne choisie la meilleure pipe parmi les humbles propositions de la boite, sa servante fait un rapide pas en avant pour glisser quelques pièces sur le comptoir et préciser à voix basse :
"... Une cape, s'il vous plait..."

Préparant la commande succincte, le marchand répond :
"L'air empeste ?"
"T'as pas senti ça, c'matin ?"
Répond une voix depuis la cuisine, attirant le buste du gérant vers l'encadrement de la porte en arrière :
"Non ?"
"Tu sentirais pas ta propre maison bruler... et t'es aussi sourd que tes pots à bière."
"Sourd !?... et alors quoi ? La ville brûle ?"
"J'ai vu une grosse fumée en puisant ce matin. Ça vient des beaux quartiers !"
"... encore un bourgeois qu'a gavé son fourneau de travers !"
Grogne le marchand avant de se repositionner devant ses clients :
"Tant que les flammes restent là où elles-sont, moi vous savez-hein... Enfin. Prions Seri pour qu'il n'y ait pas de victimes. On a bien assez à faire avec les Morts..." Soupire-t-il.

Le trio est libre de régler ses transactions et de rejoindre une table à moins de continuer la discussion ?
La salle est très peu remplie et le calme y règne. La chaleur et l'ambiance y sont plutôt douces et reposantes.

...~oOo~...

Invité

Hédienne tousse presque à l'annonce du prix qu'elle doit mettre dans du tabac, une pipe et leurs malheureuses allumettes. Deux pièces d'or? Ce type se payait sa tête. Ou avait flairé le bon, très bon filon. Son agacement passa comme un éclair dans son regard, mais dans leur situation la plus grande discrétion s'imposait, aussi une prudence primaire eut vite raison de toutes ses velléités commerciales. Elle donna l'or sans broncher.

De son côté, la jeune esclave avait usé d'un petit pécule, dont sa maîtresse ignorait jusqu'alors l'existence, pour pourvoir à son besoin. Quant à leur garde du corps, il se délesterait des trois pièces d'argent que nécessitaient leur repas, comme les convenances l'exigeaient pour un parfait galant homme.

Tandis qu'Hédienne choisissait avec empressement une pipe qui lui soit assez pratique et familière pour l'accompagner dans ses péripéties, elle écoutait d'une oreille à peine concernée la conversation que le tenancier - et sa compagne, par répliques interceptées - lui tenait. Elle avait jeté son dévolu sur une pipe en bruyère sombre, au manche long et droit uniquement ornée d'une bague argentée.

- ... les morts? fit-elle en levant un nez à la fois intrigué et incrédule.

Maître du Jeu

La question d'Hedienne retiendra l'attention surprise et fixe du gérant... Puis l'homme relâche son souffle d'un rire léger :
"Haha mais vous z''avez pas vu la 'lumière' depuis combien d'temps..."
Fronçant un sourcil il fermera finalement le regard avant de dévisager les trois étrangers à son bar :
"Ça fait des jours que ceux qui meurent se relèvent... On a été infesté de zombis mais l'Inquisition et la Garde ont faits leur travail. Ça a l'air d'être endigué, mais pas complétement résolu.
On raconte qu'il fait pas bon d'voyager en ce moment. C'est plus que du peau verte et du bandit qu'y'a sur la route... y'a aussi les voyageurs qui n's'en sont pas sortis."
Il haussera les épaules et récupérera l'or posé sur le comptoir.
L'expression 'outrée' d'Hedienne face au prix demandé passera inaperçu aux yeux du gérant. En l'état, il ne fait qu'attendre la commande des plats et sert déjà un pichet d'eau clair entre ses clients et lui.

"Vous comptiez voyager ? Ou vous en reven'ez..." Demande-t-il tout aussi incrédule que cherchant à passer le temps en discussion.

En arrière, le cul de sa femme s'active devant âtre et grande table.

pas de nouvelle de Fenrir, je saute son tour

...~oOo~...

Invité

Ces jours et ces nuits passés sur les chiffres des comptes et les comptes des chiffres à la lueur des bougies, sans d'autre but que la recherche d'affaires toujours plus florissantes, pour n'en maîtriser que la plus pure information comptable... Hédienne était passée à côté d'un paquet d'informations qui, aujourd'hui, pouvaient la mettre en danger. Cantonnée aux comptes, à leurs infinissables relectures, leur mise en conformité aux yeux de l'administration centrale et leur capacité à rester dans la plus grande discrétion, pour une certaine partie d'entre eux, non seulement vis-à-vis des percepteurs mais aussi, et surtout, des inquisiteurs. Elle n'avait aujourd'hui qu'une emprise très limitée sur le processus de décision au sein du clan, et si, intérieurement, elle sentait d'intuition que sa génération serait celle d'importantes améliorations, elle ne savait toujours pas par où commencer. Et les événements de ce matin n'étaient pas pour accélérer ses plans. Au contraire, ils ne faisaient que reporter à plus tard son accession à de plus importantes responsabilités : il leur faudrait trouver une nouvelle habitation, rechercher dans les décombres de la précédente tout ce qu'ils pourraient sauver de documents et objets relatifs à leur sombre commerce - les effets personnels n'entrant qu'en dernière considération -, veiller à la préservation de leurs intérêts dans les divers milieux qu'ils fréquentaient et, surtout, rassurer clients et fournisseurs. Ils devaient rester en contrôle. Partant de ce postulat, Hédienne n'avait plus qu'à espérer pouvoir prendre du galon dans les prochaines années à venir... Si tout allait bien. Voilà qui promettait encore des jours sombres. Et beaucoup de labeur.

- Ni l'un ni l'autre, je regrette. Nous avons seulement faim, fait-elle impatiente et, elle devait l'avouer, assez affamée également.

Plus elle pensait à sa famille, plus les questions se multipliaient, se chevauchaient pour n'aller nulle part. Elle ne pouvait avoir aucune certitude et, dans le doute, devait se méfier de tout le monde. Elle porta un regard circulaire à Ulrich, son mystérieux protecteur, et à la jeune fille qui l'accompagnait et dont elle ignorait toujours le nom. Etait-elle seulement en sa possession? Les esclaves sont des propriétés - presque - comme les autres. Où pouvait bien être son titre? Et qui parmi les Thelvin en était-il - ou elle - le ou la véritable propriétaire?

Pourvu qu'ils puissent rapidement manger et partir.
La librairie ne devait plus être bien loin...

Maître du Jeu

Quatre bols se présentent sur un plateau, amenés par une cuisinière qui dévoile enfin son visage. La femme du taulier a la peau épaissie, légèrement cannelée sur les joues. Ses cheveux fins, blonds et ternes sont attachés, sa tête recouverte d'un tissu couleur crème qui se marie à son tablier.
"Et voilà pour les affamés." dira-t-elle en posant les repas sur le comptoir, les laissant ainsi à disposition.

Hedienne, sa suivante et le garde du corps pourront se trouver une table sans aucun mal. Il n'y a pas grand monde à cette heure et rien qui ne saurait retenir leur attention plus longtemps.
S'installant calmement, la jeune esclave maintient une attitude impressionnée et timide, entourant sa pitance de ses doigts pour réchauffer ses mains.
Le met qui leur est servi dégage une odeur de lapin en sauce verte. Un ragoût parfumé du sucre des carottes, de fond d'os qui lui donne sa consistance, de quelques pommes de terres et de la fraîcheur d'une bonne poignée de persil plat.
Voilà de quoi remplir les estomacs et rassurer l'âme tourmentée par cette matinée mouvementée.

Hedienne déplore ses années de pratiques dans les affaires. Cette 'expérience', qui vient pourtant de la désarmer devant le marchand.
Elle a beau eue passer ses soirées à calculer, jamais elle n'a prise conscience des prix pratiqués dans les commerces, elle n'en connait ni les fluctuations, ni les tenants... ni les aboutissants.
C'est une compétence qu'elle n'a pas acquise. Et dont elle prend la mesure.
Il n'en est pas moins que la jeune femme perçoit tout le danger de cette zone de confort quelle pensait être la sienne. Tout le travail de ses parents, de sa famille; cet 'empire' sur lequel elle devait s'appuyer, était-il en train de s'effondrer ? Elle n'a pas une seule nouvelle d'eux et le foyer vient de bruler...
C'est un tableau bien noir qui s'esquisse devant ses yeux... aussi étrange et tortueux que cette toile tissée qu'elle avait levée pour découvrir un passage secret dans son propre manoir...

"Madame... qui est l'homme que nous devons rejoindre."
Demandera la jeune fille en levant sa cuillère vers ses lèvres pour finalement observer sa maîtresse.

...~oOo~...

» Les Marche-Poussières

Premier marché

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