La première arène

Les deux lignes de gladiateurs se scellent face au forgeron, son marteau et son enclume. Les poignets de deux esclaves s'assemblent au moyen d'une paire de menotte, de sorte que les entravés restent flanc à flanc et ne puissent disposer que d'une seule main armée.
Les bracelets sont en acier, épais, tout comme les cinq maillons qui les séparent.
La taille du fer est un standard - seul un enfant pourrait s'en glisser et les hommes de bonne carrure vont se sentir serrés...

Tandis que Ro avance, au rythme des frappes méthodiques du forgeron et de ses assistants qui joignent les mains d'esclaves - les cerclent, font en sorte que l'attache soit ajustées au mieux - elle se donne un instant d'observation.

Isath est dans son dos. Elle marche tête basse, prise dans ses prières et réflexions.
En regardant le manège qui se déroule devant le forgeron, Ro comprend très vite que l'homme à son flanc dans le second rang sera son partenaire de jeu...

Il s'agit donc d'un charbonnier au vu des cales sur ses mains, de l'épaisseur de sa peau et de la santé de sa pilosité faciale... Sa musculature est sèche, bien dessinée aux bras, aux épaules et au dos. Le labeur du charbon a rendu cet homme plutôt endurant mais son passé de combattant ne peut être révélé aussi rapidement.
Il a très probablement des atouts de guerrier.

Quant à celui qui se tient au côté de Isath, il a le visage bouffi... les traits tirés. Surement un ancien alcoolique ? Son regard, sa démarche, transpirent le charlatanisme... un mec louche.
Il n'a pas de main travailleuse comme son partenaire, une stature assez sèche et peu dessinée.
Lorsqu'il sent un regard sur lui il vient transpercer celui de la gladiatrice d'un œil bleu et vif.
Celui là, elle sait qu'il est assez nouveau dans le cercle des esclaves de Marhen. Elle a entendu une rumeur sur lui... un prisonnier avec un passé de fait d'arme plutôt sournois... Un voleur ou un assassin ?
En tout cas il se sait se battre, mais pas comme aujourd'hui... pas en pleine 'lumière' et de façon aussi frontale.

Ro détaille deux hommes qui se trainent dans la ligne des vaincus... Les champions du matin pourraient très bien perdre ce soir, tout comme les perdants finir triomphant.
Cette alliance forcée n'est qu'une mascarade et très peu révélatrice des capacités de chacun. Un seul combat aura déterminé qui serait le boulet de l'autre ? C'est léger... Et Ro en a probablement conscience.
Tout ceci sans pouvoir estimer la dangerosité des ennemis qui leur seront présentés.

Ro est alors face au forgeron et si elle ne fait rien, elle sera ferrée à son charbonnier... Puis les duos se rendront à la salle d'arme pour se préparer au combat.

La pirouette de Ro n'est pas invisible. Elle n'est ni rapide, ni  proprement exécutée devant le forgeron et son acolyte... Ceux qui scellent les prisonniers ont bien remarqué le manège de déplacement et de remplacement des partenaires. Mais visiblement les deux hommes n'en ont strictement rien à faire... Et comme le changement s'effectue sur une même colonne, non d'une ligne à l'autre, il semble qu'aucun ne se sente l'humeur de rétablir l'ordre des duos.

Si le Maitre d'arme a établi des couples de combats, c'est très probablement pour une raison. Ro l'imagine bien. Les paris se sont fait en fonction d'une balance respectant les volontés de la grande Maitresse de Ro.
En bouleversant cet ordre, la jeune gladiatrice contrevient au souhait de Mahren.

Le marteau frappe en rythme et le clou scelle le poignet d'Ysath à celui du Charbonnier.
Sous la surprise, la brune n'a rien su dire de plus... Elle oscille entre la reconnaissance et l'incompréhension. La protection qu'on lui offre  la déstabilise un peu et toute cette précipitation -l'échange, le combat à mort imminent- la tiennent totalement coite.
Vient le tour de Ro et de ce 'voleur' qui se trouve à son flanc.
L'homme n'a rien dit d'autre que de poser sur elle un œil scrutateur et torve avant de relever le menton d'une fierté quelque peu mal placée devant l'artisan et son apprenti.

Les duos s'avancent ensuite dans la salle d'arme où chacun pourra s'enticher d'une lame ou d'un bouclier...
Si Ysath est contrainte à la rapière -puisque sa seconde main est inutilisable- le partenaire de Ro prendra l'initiative de la tirer à lui pour venir prendre en premier une dague à la lame bleutée...
Une fois son compagnon armé, la gladiatrice pourra faire le choix de renforcer où non la puissance de son poing libre.

Lorsque chacun sera prêt et que les colonnes d'esclaves se seront épuisées devant le forgeron, ceux qui attendent dans la salle d'armement seront enfin guidés dans le couloir menant à la 'mort' ou à la 'victoire'.
Le boyau remonte en un escalier pentu s'ouvrant immédiatement dans l'arène.
Dès les premières apparitions d'esclaves combattants, la foule tonne et scande une sorte de brouhaha incompréhensible.

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La nuit est éclairée par les flambeaux qui cerclent l'arène.
Il n'y a aucune zone d'ombre sur ce disque de sable lisse et bien propre... qui sera bientôt chahuté, malmené, abreuvé et alourdi de corps inertes.
Le peuple, installé sur les estrades de pierre et de bois, perd ses visages dans une sorte de contre-jour artificiel.

L'arène est creusée dans le sol, si bien que Ro et tous ses partenaires d'infortune se trouvent en dessous de la ligne des habitations -quinze mètres plus bas.
Le rang le plus haut s'élève à cinq mètres de la route à l'extérieur du cercle... ce qui fait que, de l'intérieur, l'arène se dresse de vingt mètres devant les mis à morts.

La zone circulaire des estrades est pleine de spectateurs. Mais il se trouve une zone différente de ces lignes de têtes assises qui s'agitent à l'apparition des combattants. Une structure de bois et de drapés, mis en lumière par les flammes de quelques braséros, indique aux gladiateurs la place des nobles et des riches commerçants... Ro peut y voir Marhen, en grande discussion, visiblement hilare et en partie couchée sur une banquette, servie par un homme qu'elle peut bien reconnaitre... puisqu'il s'agit de son 'père'.
Sa maîtresse s'est entichée de Ravron pour la servir, tandis que sa 'fille' combat pour sa vie. Peut-être est-ce volontaire, peut-être n'en a-t-elle en réalité rien à faire...

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Une trompette raisonne.
La note forte et vibrante tient quelques secondes. Elle fait en partie taire cette clameur du peuple et annonce l'arrivée de vivres dans l'arène. Une porte barrée de fer s'ouvre et laisse apparaitre une charrette à bras. Deux esclaves se mettent à lancer des galettes de blé à la foule, jusqu'à ce que le stock soit épuisé et que le petit cortège puisse disparaitre de la zone des combats annoncés.

Enfin, une voix portée par un entonnoir de cuivre se met à parler :
"Peuple des Sables !!"
La foule qui avait commencé à se calmer coupe immédiatement court à ses échanges verbaux, plongeant la zone dans un silence religieux.
"... Veuillez accueillir le plus grand, le plus respecté de tous nos dirigeants, l'homme qui a su mettre en déroute la Rébellion et qui vous offre ce soir, le pain de la Victoire !
Bromuuuuur Ertaaaaaam !!"
Le peuple se déchaine à l'arrivée d'un homme en armure dans la zone réservée aux nobles et qui prend place sur une sorte de trône gardé par plusieurs combattants. A sa suite, c'est une femme à l'allure plus fluette qui s'avance et se tient debout à son flanc.
Bromur Ertam est la tête dirigeante de la Cité des Sables et celle qui l'accompagne c'est l'Oracle officielle de la ville.

"... Peuple des Sables !!" Appelle à nouveau la voix au calme.
"Cette nuit... nous allons vous offrir le spectacle de la victoire des Hommes, des Fils de notre Respectée Mère Seri ! Contre la Rébellion, la Mort et l’infamie !
Pour vous ce soir, les fiers Combattants de Shosheiveh Marheeen !!"
Le peuple scande et Marhen salue la foule d'une main, s'abreuvant de ce court moment d'attention.

"... Imaginez !
Des Hommes écrasés par l'adversité, par la tentation ! Des Hommes enchainés à leurs pêchés, tourmentés et mis à l'épreuve par notre Mère ! Ces Combattants vont faire face à ce qu'ils sont vraiment ! Ils vont devoir survivre et affronter leur pire cauchemar !!
Les Rebelles ! Et les Moooorts !"

La foule explose à l'annonce qui entame le début des hostilités. D'une seconde à l'autre l'ennemi va pénétrer la zone des combats.

L'annonce est faite. Ro se laisse submerger par une vague teinté de plusieurs émotions. Angoisse, colère, espoir... La vue de son père la terrifie autant qu'elle lui redonne courage. Et cette idée de devoir combattre des Morts, en plus d’innocents dans l’arène, n'est pas pour la rassurer... mais elle se sent désormais gonflée de détermination. Elle a un but. Elle l'a toujours eu. Mais ce soir il lui hurle plus qu'à tout autre moment... car la situation est de grand péril et qu'elle doit se souvenir pourquoi elle doit survivre.
Elle veut sortir son père de tout cette fange... de toute cette ignominie qui les a mis en esclavage et au divertissement macabre de la population.

Dans les gradins, proche de la banquette de sa maitresse, Ravron se redresse après avoir fait couler un thé et distribué quelques dattes confites à celle qu'il sert et qui semble se délecter de sa présence à cet instant... Elle lui glissera d'ailleurs quelques mots en l'incitant à rapprocher son oreille de ses lèvres. L'homme dévisagera Ro d'un œil emprunt d'une crainte qu'il cherche à dissimuler par le courage qu'il voudrait tant lui donner.
Un hochement de tête, un sourire en coin... un regard fixe sur elle.

Dans l’arène, les compagnons de la pugiliste tremblent, d'autres s'échauffent en déliant leurs articulations froides, en secourant leurs muscles transis. Une porte s'ouvre sur une dizaine de combattant armés qui savent que leur survie, autant que la leur, va se jouer ce soir.
Ils courent alors en direction des gladiateurs, hurlant et vociférants armes en main... Se jetant une mêlée sanglante.

Une femme se lance vers le compagnon enchainé de Ro tandis qu'un homme se fixe sur elle, épée à la main.
Contrairement à eux, les Rebelles ne sont pas enchainés.

Les premiers échanges ont lieux au flanc de Ro. Son compagnon frappe par deux fois la protection de cuir au ventre de son agresseur. Il transperce l'armure avant d'égratigner la chair... là où l'ennemi échouera dans ses deux tentatives contre lui.