Isën'el Altaïr-Thanwelië

Isën'el n'est pas très grande pour une représentante de sa race, à peine un peu plus d'un mètre quatre-vingt. Dissimulant aisément le sépale de ses oreilles, sa chevelure épaisse à la lumineuse blondeur se voit soutenue par une silhouette élancée et aérienne telle une graminée dans le vent du soir. Une peau d'opale, claire comme un matin d'hiver où viendraient miroiter ses prunelles glacées et changeantes que seuls, et par intermittence, viennent troubler les nuages du ciel de ses pensées. Une voix... un charme aux sonorités ondulantes, un doux et mystérieux ressac qui, inlassablement, caresse et polit le lit de la rivière et des âmes captives. Rien d'extraordinaire en somme… un concentré elfique de supériorité et de condescendance, d'environ soixante à soixante-cinq kilos tout habillé, qui ne manquera pas de poser son regard indulgent et lucide sur les pauvres petites choses grouillantes de ce monde. Altière, Isën'el est un troublant mélange de hauteur et d'humilité.

Isën'el est une elfe. Est-ce discutable? Alors pourquoi lutter? Elle est un être supérieur par nature, c'est ainsi et indépendant de sa volonté. Isën'el est bien née. N'est-ce pas aussi une évidence? Pourquoi ne pas admettre tout simple que son éducation et sa destinée la hisse loin de la fange où nombre se complaisent ou se débattent. Isën'el est savante. Par quelle aberration de l'esprit pensez-vous pouvoir rivaliser? N'est-elle pas détentrice des secrets de la nature, celle-là même que leur confia Thenalad? Une nature pensée à la perfection par sa déesse… Dans le monde d'Isën'el, il n'y a pas de place pour le hasard : il y a l'équilibre qui préside à toute chose.

Ce qui la différencie clairement de ses congénères est sa vision du monde. Loin d'affirmer sa différence dans une opposition primaire et d'une affligeante banalité, digne d'un éphémère pré-pubère ou d'un troll des cavernes - entendez par là un nain -, c'est la voie de l'équilibre qu'Isën'el a choisi. Triste conformisme pour une adoratrice de Thenalad? De prime abord, l'affirmative semblerait des plus raisonnables, mais à mieux y regarder... L'équilibre poussé aux limites de sa propre logique, l'équilibre sans cause, ni raison, l'équilibre avec pour but ultime lui-même, dans une sorte d'auto-justification suffisante, permanente et englobante… Ce point est l'architecte de la vie d'Isën'el, il en trace les lignes directrices et les perspectives qui se fondent dans celles plus vastes de Galgals : comprendre le monde, c'est comprendre l'équilibre qui le sous-tend et anime sa modeste personne.

C'est sans doute là, au cœur de sa pensée érigée en croyance quasi mystique, que prend naissance un malentendu des plus persistants. Sous sa froide apparence, Isën'el n'est pas un monstre d'indifférence et d'insensibilité : elle est la neutralité indispensable à l'équilibre du monde.

Pour elle, la plus grande méprise serait de courir après l'équilibre et de le confondre sans cesse avec un idéal égalitaire chimérique et faussement bienveillant des plus aliénants, des plus futiles et des plus destructeurs, ne réalisant pas par la même que l'objectif est atteint depuis le commencement, qu'il est fondateur du monde, qu'il le supporte et le structure depuis la première heure et qu'il ne peut en être autrement. Le monde est naturellement et intrinsèquement équilibré, il ne saurait en être autrement. Isën'el, comme chaque chose, participe à cet équilibre, mais bien plus encore, elle s'est assignée comme mission d'en observer le processus créateur permanent et d'en préserver la sereine perpétuation.

C'est dans la cité de la Lumière qui l'a vue naître que l'histoire d'Isën'el, fille de Sóer Altaïr et d'Arthyel Thanwelië, prend racine. Héritière d'une double tradition familiale - militaire par sa branche paternelle et politique par sa branche maternelle -, c'est une toute autre voie qu'elle va emprunter : celle de la nature et du druidisme.

Sóer, son père, en digne représentant des Altaïr, s'est de nombreuses fois illustré sur les champs de batailles. Meneur charismatique et fin stratège, il disparut corps et âme en l'an treize avant la nouvelle ère. Âgée d'à peine onze ans, c'est à travers le discours maternel qu'Isën'el grandit et se forgea l'image d'un père emblématique qui brilla d'autant plus que son absence ne pouvait en rien contredire le mythe familial qui s'érigeait désormais en vérité absolue et incontestable.

Arthyel, sa mère, femme ambitieuse et devenue depuis lors chef du clan Thanwelië, ne vit que pour une chose : le pouvoir et l'aura de la famille. Devant se rendre à l'évidence – Isën'el ne reprendra jamais le flambeau familial -, elle a jeté son dévolu sur son neveu Herel qu'elle destine à sa succession à la tête du clan.

Herel Thanwelië, justement, son jeune cousin, digne héritier de sa mère tant par l'ambition qui le dévore que par l'idée qu'il se fait des moyens pour y parvenir, revient fraîchement de dix années initiatiques qu'il a passé à parcourir Galgals afin de parachever son éducation.

Ce retour tant attendu est une véritable aubaine pour Isën'el et sonne par la même l'heure de son départ. L'avenir familial - dont elle n'a que peu à faire - étant à présent assuré, elle se voit libérée de ses obligations et compte bien à présent vivre la vie à laquelle elle se destine.

Dans ce tableau familial et pour comprendre Isën'el, il ne manque plus qu'Elyë Altaïr, la Vénérable. On dit d'elle qu'elle a connu les premiers temps du monde, c'est dire… C'est auprès de son arrière-grand-mère, qu'Isën'el a fait ses classes, elle est sa référence, sa préférence et sa famille de cœur.

Quant aux cent quarante-sept années qu'Isën'el a passé dans la cité de la Lumière, il n'y a que peu de choses à dire d'une vie de douceur et d'opulence dans un lieu béni par Thenalad en personne, en dehors peut-être de ces quelques dernières années où elle a particulièrement concentré son attention sur les visiteurs venus commercer et auxquels elle a accordé de son temps, préparant ainsi un long voyage qui commence... maintenant.