Devant Sapo, les deux étrangers semblent redescendre en pression. Il est vrai que la discussion, dans ce contexte d'oppression, pouvait vite tourner au quiproquo ou à la tentative de manipulation, à la délation... Il n'est pas aisé pour ces deux Elfes de s'exposer face à un sudiste. Le choix qu'ils ont fait de le contacter était aussi désespéré que risqué.
Soit. Sapo accepte de les aider. En plus d'un travail en ville il pourrait s'installer ici ? Ou poursuivre les principes de ces deux étrangers ? Qui sait où cette aventure saura le mener...
Seuls ses choix à venir pourraient le dire.

La jeune femme haussera les épaules à la demande pressante du fossoyeur, indiquant du menton le fond de la salle et qui donne sur une arrière cours.
"Va donc voir par là ? J'ai vu plusieurs clients y passer."
Et en effet. Sapo saura trouver, dans un clos, un minuscule bâtiment fait de planches grises mal dégrossies, comportant un banc en bois percé de plusieurs trous et parfumé de ces odeurs caractéristiques de latrines... dans le froid glacé de l'hiver.

Une fois son affaire terminée il saurait rejoindre la chaleur de la taverne et ses mélanges de houblon, de soupe et de tabac froid. La gérante a fini par abandonner le trio qu'ils formaient à la table, très occupée à l'arrivée de clients toujours plus nombreux à l'heure du repas.
Le soleil est monté à son zénith et les estomacs creusés crient famine le temps d'une pause méritée.
L'auberge se remplie et le groupe la quittera sans qu'aucun ne leur accorde plus d'attention.

"Le fossoyeur que tu cherches se trouve au bout de l'artère principale, sur la place centrale." Indique la femme d'un nouveau mouvement de tête emmitouflée sous sa capuche.
"Fais-toi embaucher et héberger. Ne cherche pas à nous contacter, on le fera. Contente-toi de faire ton travail de fossoyeur et nous apparaitrons à un moment ou à un autre."

L'étrangère expédie un peu la séparation, gardant l’œil sur la rue passante et ceux qui pourraient les observer ensemble. De son côté, l’acolyte reste fixe, fixant le bout de ses bottes d'un air absent -faux ou vrai-.
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Si Sapo n'a pas d'autres questions ou remarques, il pourra se diriger seul dans la direction indiquée ?

Au bout de la grande rue pavée, qui s'ouvre à ses flancs en de nombreux tentacules de terre battue et coincés entre des maisons étroites, la place attendue s'expose. Il y a là un temple et de grandes habitations aussi sévères que majestueuses. La vie d'un marché anime la zone qui grouille de chalands et de courtisans. Sur les boutiques et bâtiments qui cerclent la place, l'un se démarquera des autres par sa devanture. Coincée entre deux maisons, la baraque se monte d'un étage en bois et en pierre. Elle est plutôt biscornue et cintrée, un peu poussiéreuse et cerclée de gèle.
Au dessus de la porte un... écriteau en forme de cercueil... nomme en lettres de métal le nom de 'Randall Roil'.

Si Sapo entre dans la boutique il trouvera une salle rectangulaire et profonde. Mais il est difficile d'en apprécier les dimensions... tant il y a de planches, d'étagères et de cercueils disposés.
Une fine couche de poussière de bois couvre un plancher usé.
Un passage plutôt obscure et improvisé le mènera entre étales et étalages vers un fond éclairé d'une large cheminée - devant laquelle s'agite l'ombre d'un menuisier. Il règne ici une bonne odeur de résineux torturés, de vieillerie et de tabac...
S'il s'approche de cette silhouette qui mène ses bras de droite à gauche, à moitié couchée sur une planche, tirant et poussant un large rabot au son mélodieux de la lame qui épluche chaque couche imparfaite, Sapo découvrira la face d'un homme entre deux âges à l'air concentré. Un petit cigare fiché entre ses lèvres il souffle de légers et brefs crapets de fumée, alimentant l'atmosphère qui s’épaissit autour de lui.
Préoccupé par son travail il ne relèvera la présence de son potentiel client qu'une fois qu'il aura refermé la porte derrière lui et que le vent glacé de l'extérieur l'aura atteint.

Redressant le buste en dénouant l'une de ses épaules, il posera sur l'étranger un œil brillant et peu jouasse :

"J'peux faire quelque chose pour toi ?"

Le menuisier se redresse de sa planche, tenant d'une main son rabot et de l'autre sa pipe. Sans quitter des yeux l'étranger, il le jauge désormais de la tête aux pieds :
"Un fossoyeur ?... Tu tombes à la bonne adresse, mon gars... J'espère que t'as de l'expérience, des tripes bien accrochées et qu'ce rose aux joues c'est l'froid et pas d'l'émotion... J'ai eu mon quota de mauviettes..." dira-t-il d'un geste cerclant son propre visage pour imager son propos.
"Si j't'embauche, va pas falloir chialer au bout de deux jours. T'es conscient que ton travail a pris un cran de danger par les temps qui courent ?"
Recalant le bec de son fumoir entre les dents il évalue son regard :
"J'te paye deux pièces d'argent par enterrement et j'te loge gratuitement. J'ai une chambre pour toi à l'étage, tu peux t'installer."
Il se penche à nouveau vers sa planche, quittant des yeux Sapo tout en ajoutant :
"Y'a pas trop d'boulot en ce moment et j'ai pourtant du refuser un travail hier parce que j'ai pas de gars assez solides pour faire le travail quand j'ai des cercueils à faire.
T'as des questions ?"

L'homme reprend son mouvement de racloir, poussant de longs et fins copeaux de bois dans la clarté dansante de l'âtre en arrière.

Le menuisier a repris son travail de rabotage. Il rythme le discours du nouveau fossoyeur sans avoir l'air d'y prêter attention, buvant ses paroles d'une oreille sans sourcilier de sa tache.
Cependant... la légère pause qui fera enfin poser une question le figera. L'homme pince le regard et tord sa nuque dans la direction du garçon. Chahutant les fumées épaisses de son fumoir, il se redresse, décale le bec de sa pipe en commissure et répond d'un ton très sérieux :
"Un potager ?..."
Une expression suspicieuse s'esquisse sur sa face burinée avant qu'il ne finisse par s’esclaffer :
"Elle est bien bonne celle là ! Cultiver choux et courges aux pieds des macchabées ! Brah-ha-ha !"
Pris d'une quinte de toux, il sépare son fumoir de sa gueule en battant l'air d'une main.
"Merde -krof-krofff-



Pose donc tes questions, urgentes ou pas. Tu prends ton poste, j'compte pas m'faire interrompre à chaque demande plus ou moins idiote, alors vas-y déblatère et j'avise...
Qu'est-ce que tu veux savoir..."

Dira-t-il en effaçant son rictus pour se repencher vers sa tache.

Les échanges entre les deux hommes sont rythmés par les va-et-vient du racloir et des chevelures de bois qui tombent en copeaux sur le sol.

Le menuisier écoute, sans regarder Sapo, les yeux pincés derrière ses volutes de fumée âcre.
L'homme cause, encore et encore... marquant des pauses sans qu'il n'y réagisse. Et lorsque son flot de parole s'épuise, Randall passe sa paume caleuse contre la surface plane de sa planche et se relève d'un soupir.
"Je t'héberge gratuitement.
On trouve en ville de quoi manger pour une pièce d'argent... mais j'comprends ta détresse, c'est aussi la mienne. J'peux pas te payer plus vue la situation du moment. C'est un fait, on a moins d'enterrements et donc je gagne moins ma vie.
Si tu veux t'faire plus, j'te propose de rejoindre la Garde et de faire le travail qu'aucun n'a le temps de faire... celui de traquer... une quoi ?... t'as parlé d'une adoratrice de Niril ?"
Ses lèvres se tordent d'une grimace.
"Si ça t'préoccupe tant qu'ça et qu'y'a personne à enterrer, t'as qu'à t'faire embaucher par le gars qu'a posé l'annonce."
Son visage se froisse puis il croise les bras, laissant son rabot sur la table.
"Écoute mon gars.
T'es jeune, t'es vif, tu veux gagner plein d'argent sans prendre en compte la merde dans laquelle sont les autres. J'fais aussi un métier de passion, moi. J'adore monter des cercueils.
Mais ça paye pas !"
Il termine sur une exclamation qui le voutera légèrement en avant, appuyant l'idée.

"Par contre, si tu fais plusieurs travaux en ville, j'compte pas te courir après pour faire le tien ici ! Si je t'engage c'est pour faire les choses correctement et en temps voulu.

Les gens qui s'font enterrer sont rares... Mais y'en a.


Pour c'qui est du cimetière, 'y a déjà un gardien et c'est pas moi qui l'embauche. J'suis pas le seul monteur de cercueils en ville. Y'a d'autres fossoyeurs.
Le cimetière, c'est pas fait pas planter des légumes ou élever des poules, comme tu dis. Si tu sais gérer un potager et que tu sais 'cuisiner' alors trouve toi un autre endroit.
C'est pas mon soucis."
Haussant les sourcils, il les maintient arqué tandis qu'il dévisage le jeune garçon.
Mais la porte de l'entrée grince, ce qui le fera pencher sur le côté, afin d'observer la silhouette qui s'avance :
"Qu'est-ce que c'est ?"
Demande-t-il à l'ombre noire découpée du fond.
"Vous avez de la disponibilité pour un mort ?"
"Un mort... mort ou 'faut faire le 'travail' ?"
"Il ne bougera pas d'un poil."
"Qu'est-ce qu'y s'est passé ?"
La silhouette est restée sur le pallier, le visage dans l'ombre.
"Un homme qui s'est fait tuer dans l'exercice de sa fonction de garde-du-corps. Il n'y aura pas de bucher funéraire. Si vous avez du temps, je vous le fais faire amener demain, dans la matinée ?"
"Am'nez donc."
Ponctue le menuisier en laissant l'étranger repartir.

"Bon bah voilà. T'as du travail, garçon.
Comme quoi, tu tombes doublement bien ce soir."
Termine-t-il plus tranquille.