La harde d'hiver

Titanies du mois de Obsidienne

L'hiver est installé depuis plusieurs jours.

Le clan a divisé ses troupeaux en divers pâturages forestiers, pour les protéger des vents glacés qui sévissent sur les plaines devenues sèches. Au milieu des hauts arbres et des clairières, les Helrasduil ont redistribués leurs forces, gardant une vingtaine d'individus tout au plus ; grands cerfs et chevaux confondus.
A cette période de l'année, une seule biche vit au milieu des mâles, les autres sont rassemblées avec leurs petits auprès d'un groupe de gardiens plus particulier. C'est pour éviter la dégradation de la forêt et mieux gérer les maigres stocks de nourriture, que peu de montures sont groupées sous les bois.

Trois gardiens pour trois dresseurs, cinq cerfs, une biche et cinq chevaux, plus les montures de chacun. A chaque halte nocturne, les protecteurs de la harde s’abritent dans les creux et les troncs, s'emmitouflant sous de chaudes couvertures.

Aujourd'hui est particulier.
Parfois, la troupe doit passer aux abords d'un village pour se ravitailler. De la nourriture, de l'eau, des armes... Si le clan est spécialisé dans la garde et le dressage, il compte quelques petits artisans débrouillards mais pas de véritables professionnels dans l'art... Les Herasduil dépendent parfois des savoir-faire de ceux qui ne sont pas nomades comme eux. Étant donné leurs réputations, ils sont souvent aidés par leurs confrères et consœurs sédentaires.

Aujourd'hui, Meriliel a été choisie pour accompagner un dresseur à Val d'Ormeaux. C'est avec une liste en main que son compagnon va se rendre chez un commerçant et charger un cheval, pour les Gardiens et les Dresseurs. Grace à ces quelques éléments, ils pourront passer une partie de l'hiver plus facilement... la période la plus rude de l'année.
C'est probablement une première pour la jeune elfe, qui ne connait que peu les villes et n'a fait qu'apercevoir la Capitale. Si la gardienne est peu enjouée par ce genre de mission, on ne lui laisse pourtant pas le choix. C'est son tour. Et la sortie ne sera que de courte durée, tout au plus de quelques heures, à moins qu'une envie particulière ou un problème ne les retienne...
Auparavant, Meriliel passait commande auprès du gardien chargé des commissions... Le duo est toujours de la même composition, afin de laisser au reste du cheptel assez d'éléments pour le défendre et le surveiller.
La troupe les attendra plus loin, ne mêlant pas leurs futures montures à la civilisation, pas avant le printemps et l'été prochain, lorsqu'elles seront plus matures et qu'elles pourront être échangées.

L'aube se lève donc sur les bois d'Amethy. C'est toujours un spectacle pour les étrangers de cette forêt, mais c'est devenu banal pour ses habitants. Les arbres sont baignés d'une lumière dorée, quoi que froide en cette période de l'année. Les troncs filent droits, ils sont épais, espacés, fières et hauts, créant une voute étoilée de branches et de ramures, persistantes encore au gel qui les saisi et les blanchi. Au sol, une nappe de feuillage dorés recouvre la terre noire et les mousses. Dans la légère brume matinale, les chants des oiseaux remplacent les grattements et les craquements de la nuit.
La harde se réveille et chacun reprend son rôle diurne. Les tours de gardes se sont enchainés sans que rien d'anormal n'est été signalé ; comme ça l'est souvent.

Pour Meriliel est Edleon il est l'heure de quitter la troupe afin de rejoindre le Val. Le dresseur se redresse sur son cerf majestueux et regarde encore une fois la liste de chacun. Concentré, ses lèvres murmures chaque élément noté... Et lorsqu'il achève ses réflexions personnelles, il fait faire volte-face à son 'ami' pour se placer dans la bonne direction. Derrière eux, un cheval a été apprêté pour transporter les commissions qui seront achetées.

Il ne manque que Meriliel pour que le départ soit donné. Depuis quelques temps, la jeune femme porte sur les épaules une cape de fourrure que le clan lui a prêté. Sans elle, elle serait probablement restée gelée au pied d'un arbre, et la nuit ce n'est pas suffisant... Elle a besoin de refaire et de compléter son matériel, peut-être de regarder un peu par elle même cette fois, ce dont elle pourrait avoir besoin ?

Le duo est prêt à partir, accompagné de leurs montures et d'un roncin à la robe alezan.

"Je pense qu'un seul cheval suffira pour cette sortie." répond simplement Edleon, en repliant consciencieusement la liste qu'il coince dans un repli de son gilet.
Dans un mouvement du menton, élançant le reste du corps pour donner une impulsion à sa monture, il interjette d'un petit claquement de langue et met en route l'équipée.
La troupe avance avec tranquillité au milieu des hauts arbres et des bois qui s'éveillent. Le bruissement des feuilles et le craquellement léger de la terre sous les sabots, chantent harmonieusement avec l'ensemble de la forêt.

Les elfes évoluent en communion avec la nature, aussi discrets que toutes les créatures sauvages qui l'arpentent.

Le silence s'installe et l'observation est de mise pour la 'gardienne'. Il serait assez mal venu qu'un évènement fâcheux les ralentisse ou les amoindrisse... Et la tension sera d'autant plus grande sur le retour, puisqu'ils auront avec eux plus de matériels, de victuailles et que la harde se sera probablement éloignée de leur point de départ.
Il est donc à espérer que rien ne soit en train de les épier et ne fomente une attaque prochaine, visant à les déstabiliser.

Val d'Ormeaux est heureusement proche. Et elles ne tardent pas à apparaitre, les fortifications naturelles du Val. Hors quelques murs d'enceintes sur les zones plates et basses, la petite communauté bénéficie des hauteurs d'un plateau de roc et de terre. Ses vigies ont les yeux sur tout ce qui rôde. Mais elles laissent entrer Hommes, Elfes, voyageurs de tout type et à l'aspect non belliqueux.
Ce sera donc sans contraintes que la petite troupe passera les portes d'enceintes, montées dans un bois clair au veinage fin et renforcé d'un métal finement ouvragé.

Val d'Ormeaux est une petite communauté. Mais elle bénéficie des arts Elfiques, qui la rendent tout aussi majestueuse que n'importe quel 'grand' rassemblement sédentaire de ces bois. En revanche, sa situation proche de la frontière, des vastes plaines et de la mer d'Orfield en font un regroupement prêt aux éventualités d'une attaque extérieure. Il n'est malheureusement pas rare que des peaux vertes, des Hommes du Sud ou quelques Métamorphes, tentent de s'en prendre aux conforts qu'elle a à offrir.
A cette heure matinale, il y a peu d'agitation.
Si d'ordinaire les elfes sont discrets, à l'opposé des villes Humaines, crasseuses et hurlantes de bon matin, d'avantage de celles des Métamorphes qui se mêlent à la fange et aux brouhahas des meutes qui les composent... il est a noter qu'au levé du jour, les regroupement elfiques sont très reposants.
Mais Merliel ne bénéficie pas d'autres points de comparaisons.

La petite troupe ne s'arrête pas et continue sa route calme au milieu des habitations légères et élancées du Val. De nombreux arbres éminents et creux, dont les racines se répandent sur de larges blocs de roc, abritent plusieurs habitations qui s'accrochent sans mal et sans lourdeur au paysage.

Les elfes sont connus pour ne pas handicaper la nature de leur présence et pour vivre en harmonie avec elle. Ils comptent leurs membres et régulent spontanément les naissances, afin de ne pas écraser l'environnement qu'ils occupent en permanence.

Au bout de quelques minutes à évoluer sur les sentiers de terre et de mousse, la troupe peut apercevoir la devanture de la boutique tant convoitée.

'L'écorce rouge ******'
Le commerce se creuse dans la terre, sous les racines levées d'un vieux frêne. Profondément ancrée dans la chair du sous-sol, le marchand a su exploiter une cavité pour y bâtir son affaire. Recouverte d'herbe et de mousse, la devanture est renforcée d'un bois travaillé, offrant une vue restreinte sur un intérieur proposant des étales de toutes sortes.

Mais déjà, les oreilles de Meriliel lui indiquent qu'un forgeron œuvre non loin de là. Son marteau frappe une enclume d'un son presque cristallin, à un rythme calme et mesuré.
Proche, une forge trouve sa place entre les pierres naturelles qui soutenaient un arbre arraché par la vieillesse et rongé d'une maladie ancienne.
Son odorat lui indique même la possibilité de se restaurer. Sans savoir trouver la provenance de l'effluve qui danse dans l'air calme de la clairière, la jeune femme perçoit des parfums de coriandre, d'avoine et de blé cuits au four.

Edleon pose pied à terre, marquant l'arrêt du groupe. Il installe le cerf et le roncin à côté de la boutique, les laissant libre et sans contrainte. Les deux bêtes pourront s'abreuver à la source qui ruisselle le long des racines mousseuses et fraîches.
Lançant un coup à d’œil à sa partenaire, Edleon attendra s'il le faut qu'elle soit disposée à le suivre pour pousser la petite porte du commerce.
C'est le tintement d'une clochette qui les annonce. Devant eux, s'ouvrent une pièce au planché serré et dur, propre et net, sur lequel se dressent diverses tables et étagères disposant de tout ce dont Meriliel pourrait espérer avoir besoin, et même plus.
Malgré sa surface restreinte de cinquante mètres carrés, la boutique propose tout ce qu'il est possible d'acquérir... Alors certes, il a énormément de choses, mais tout est agencé de manière claire et ordonnée.

Au fond de la boutique se lève un bar simplement composé d'une planche non dégrossie de chêne. Derrière le comptoir, une femme expose son visage souriant dans la pénombre des lieux. Elle est d'ailleurs assez étonnante cette commerçante, puisque sa petite taille, ses cheveux épais et bouclés, son visage épatés et ses yeux ronds, la différencient des caractéristiques elfiques.
Edleon se dirige droit vers elle, laissant à sa comparse le loisir d'observer les nombreuses tables qu'il frôle des flancs.

"Bonjour.
Je viens chercher plusieurs choses." Dit-il tout en avançant, dépliant sa liste au moment de stopper le pas au pied du comptoir. Il tend le petit bout de papier manuscrit à la marchande qui s'en saisit alors.
La petite femme se met à lire rapidement avant d’acquiescer et de répondre :
"Je vous prépare ça tout de suite."

D'un bond elle saute de son petit perchoir, révélant une taille bien plus petite qu'estimée, arrivant en réalité à peine au dessus de la table du bar...
Sillonnant entre les étales, elle rassemble la commande à une vitesse assez surprenante, laissant à peine le temps à Edelon de sortir l'or de sa bourse.
"Ce sera assez pour tout payer ?"
Demande-t-il d'un air presque gêné.
"Oui, oui !" Répond la commerçante avec empressement et sans lever les yeux, tirant le paquetage formé jusqu'aux pieds de l'elfe, avant de remonter derrière son bar et de prendre le paiement.

Lorsque la transaction sera terminée, Edleon remerciera chaleureusement et respectueusement la commerçante, prendra le sac et rejoindra sa comparse.
"Je t'attends dehors, prends donc ton temps, nous ne sommes pas pressés."